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Passe sanitaire, vaccination et licenciement Covid19
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PASSE SANITAIRE, VACCIN ET LICENCIEMENT

Article rédigé le 4 septembre 2021 par Me Guillaume Champenois

 

Avec l’instauration d’une obligation vaccinale pour les personnels exerçant leur activité au sein des établissements sanitaires et médico-sociaux, par la loi n°2021-1040 du 5 août 2021, le législateur a renoncé à ce que le refus de se faire vacciner constitue en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement pour les salariés en CDI. Il ne l’a prévu que pour les salariés en CDD. Le conseil constitutionnel a logiquement censuré ces dispositions. Ainsi, le texte législatif ne prévoit pas expressément la possibilité pour un employeur de procéder au licenciement d’un salarié au motif qu’il n’est pas en mesure de présenter un passe sanitaire valide. Pour autant, existe-t-il un risque de se faire licencier et si oui sur quel fondement ?

 

 

Pour les professionnels du secteur sanitaire et médico-social soumis à l’obligation de vaccination posée par la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire à ses articles 5 à 8, la crainte d’un éventuel licenciement en cas de refus de se faire vacciner est toujours présente et suscite de nombreuses interrogations.
Ce texte législatif instaure à son article 12 une obligation vaccinale pour différents salariés et agents publics ressortant notamment des établissements sanitaires et médico-sociaux.
L’ultime version de la loi soumise au contrôle du Conseil constitutionnel limitait la possibilité pour l’employeur de procéder à un licenciement pour défaut de présentation du « passe sanitaire » aux seuls salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée. Logiquement, le Conseil constitutionnel censure ces dispositions (article 9 de la loi) dans sa décision du 5 août 2021.

 

L’instauration d’une suspension du contrat pour defaut de presentation du passe sanitaire et ses conséquences

 

A la place d’un licenciement fondé sur le refus du salarié de se faire vacciner, le législateur instaure une suspension du contrat de travail. Plus précisément, et ce n’est pas anodin, le législateur précise que le salarié « ne peut plus exercer son activité » (confer ci-après en fin d’article sur l’impact d’une telle formule).

La première conséquence de cette incapacité à exercer son activité professionnelle est que le salarié est nécessairement privé de sa rémunération. Pour reprendre une formule ressortant du vocable propre à la fonction publique, il n’y pas de rémunération en l’absence de service fait. Le salarié n’est donc plus rémunéré. Ce faisant, si le salarié est en mesure de présenter par la suite un « passe sanitaire valide », il pourra reprendre son activité et bénéficier à nouveau de sa rémunération.

La deuxième conséquence est que cette période de suspension du contrat de travail n’est pas assimilée à une période de travail effectif de sorte qu’elle ne peut pas être décomptée pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté. On peut ajouter que cette période non travaillée ne saurait également être décomptée au titre des droits à la retraite même si, au regard de la faible durée de la suspension du contrat de travail, cela n’aura aucun impact sur la retraite des salariés concernés.

Le texte fait peser sur l’employeur plusieurs obligations :

    • une obligation d’information vis-à-vis du salarié au travers de laquelle est poursuivie un objectif de sensibilisation à la nécessité de se faire vacciner : « Lorsque l’employeur constate qu’un salarié ne peut plus exercer son activité en application du I du présent article, il l’informe sans délai des conséquences qu’emporte cette interdiction d’exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Le salarié qui fait l’objet d’une interdiction d’exercer peut utiliser, avec l’accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés. A défaut, son contrat de travail est suspendu» ;
    • une obligation de recevoir le salarié à un entretien après trois jours continus de non-présentation du « passe sanitaire » afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation ;
    • une obligation de contrôler le respect de l’obligation vaccinale.

 

Le refus de se faire vacciner ne constitue pas en soit une cause réelle et sérieuse de licenciement

 

Cela étant exposé, la loi du 5 août 2021 ne prévoit pas expressément la possibilité de prononcer le licenciement d’un salarié qui ne serait pas en mesure de présenter un passe sanitaire valide et donc faisant mention d’une vaccination contre la Covid-19.

Autrement formulé, le législateur n’a pas créé un motif de licenciement spécifique à la non-présentation d’un « passe sanitaire » et le Conseil constitutionnel ne s’y trompe pas en relevant dans son avis qu’« il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l’obligation de présentation des justificatif, certificat ou résultat précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en contrat à durée indéterminée. »

Pour autant, l’employeur peut-il avoir recours à une décision de licenciement sur un fondement juridique préexistant dans le droit du travail tel que le motif disciplinaire ou la perturbation de la bonne marche de l’entreprise en raison d’une absence prolongée du salarié ?

 

Le licenciement pour perturbation prolongée de la bonne marche de l’entreprise est théoriquement envisageable

 

A notre sens, en droit, rien ne fait réellement obstacle à ce qu’un employeur prononce le licenciement d’un salarié dont l’activité est suspendue sur le fondement de « la perturbation de la bonne marche de l’entreprise » si les conditions d’un tel licenciement posées par la jurisprudence de la Cour de cassation sont réunies.

Tout dépendra de la situation du salarié concerné. On ne peut ici procéder qu’à une analyse au cas par cas au regard des multiples conditions et facteurs entrant en ligne de compte (durée de l’absence, nature de la perturbation, nature de l’activité exercée, impacte de l’absence du salarié sur la bonne marche de l’entreprise, etc…).

Si un tel licenciement apparait tout à fait possible, il est de fait assez hypothétique et relève plus du débat doctrinal que d’un risque avéré pour le salarié sauf à considérer que l’employeur concerné considère ici qu’il s’agit d’un effet d’aubaine pour prononcer son licenciement. Pour autant que ce soit regrettable, on ne peut évidemment pas l’exclure.

Un licenciement pour motif disciplinaire est à écarter

 

Pour ce qui concerne le licenciement disciplinaire pour défaut de présentation d’un « passe sanitaire valide » ou refus de se faire vacciner, l’analyse n’est pas si aisée que l’on pourrait le croire.

Le licenciement disciplinaire est celui qui repose sur la commission d’une faute du salarié justifiant la rupture du contrat de travail.

Si, dans sa définition civiliste, la faute est un manquement à une obligation préexistante, la faute en droit du travail est un manquement à une obligation contractuelle ou à une exécution volontairement fautive de ses obligations professionnelles. Si l’obligation vaccinale ne ressort pas du contrat de travail, elle n’en demeure pas moins une obligation qui s’impose au salarié. Au demeurant, on relèvera que la violation de la loi peut parfaitement constituer une faute professionnelle justifiant le licenciement du salarié. Ainsi en est-il du harcèlement sexuel et moral.

En l’espèce, le législateur impose la vaccination contre la Covid-19 tout en écartant le licenciement comme sanction du refus de se faire vacciner. La circonstance que le Conseil constitutionnel prenne le soin de relever dans sa décision qu’il ressort des travaux du législateur que celui-ci à entendu exclure le licenciement en cas de refus de se faire vacciner rend un tel motif de licenciement quelque peu hasardeux pour ne pas dire mal fondé.

C’est d’ailleurs là tout le paradoxe de la position retenue par le législateur concernant l’instauration d’une obligation vaccinale pour les personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux.

En considérant que le refus de se faire vacciner fait obstacle à la poursuite de l’activité professionnelle du salarié, le législateur conditionne l’exercice professionnel à cette vaccination. Comme évoqué à l’instant, la vaccination devient un prérequis pour exercer une activité professionnelle. Dès lors, le refus de se faire vacciner devrait en principe conduire à faire obstacle au maintien du lien qui unit le salarié à l’employeur et donc devrait conduire à la rupture du contrat de travail.

C’est d’autant plus logique que le Code de la santé publique prévoit depuis longtemps déjà une obligation vaccinale pour les personnels de santé et que cette obligation vaccinale est un prérequis pour exercer l’activité concernée.

 

Une obligation vaccinale existe déjà pour de nombreux autres vaccins

 

Pour rappel, car nombreux l’oublient ou l’ignorent, l’article L. 3111-2 du Code de la santé publique contraint déjà les professionnels de santé à une vaccination obligatoire et cela pour une multitude de vaccins tels que l’antidiphtérique, l’antitétanique, l’antipoliomyélitique, la coqueluche, les infections invasives à Haemophilus Influenzae de type B, le virus de l’hépatite B, les infections invasives à pneumocoque, le méningocoque de sérogroupe C, la rougeole, les oreillons, la rubéole.

Cette obligation vaccinale est ici prescrite en dehors de tout «°passe sanitaire » et cela n’a pas fait débat.

Par ailleurs, l’article L. 3111-4 du Code de la santé publique prescrit que les professionnels exerçant dans un établissement ou un organisme public ou privé de prévention des soins ou hébergeant des personnes âgées à une obligation vaccinale. Ces professionnels doivent être vaccinés contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe !

Preuve que cette question juridique n’est pas nouvelle, dans un arrêt du 29 décembre 2005 rendu sous le numéro 04NT01159, la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que l’employeur public était tenu de ne pas renouveler le contrat d’une infirmière qui n’avait pas procédé aux vaccinations qu’impose l’article L. 3111-4 du Code de la santé publique. Dans cette affaire, l’agent public a vu son contrat non renouvelé au motif qu’elle était inapte à occuper l’emploi d’infirmière faute de présenter un carnet de vaccination valide et donc conforme à l’obligation vaccinale prescrite par le législateur. Le juge administratif s’était ici positionné sur une compétence liée de l’employeur quant au non-renouvellement du contrat de travail. Il devait ne pas renouveler le contrat.

 

Quid du licenciement pour inaptitude ?

 

Pour autant, pourrait-on envisager un licenciement pour inaptitude du salarié au motif qu’il ne serait pas vacciné ?

L’inaptitude médicale au travail peut être prononcée par le médecin du travail lorsque l’état de santé (physique ou mentale) du salarié est devenu incompatible avec le poste qu’il occupe. Si l’on considère que la vaccination s’intègre dans l’analyse de l’état de santé du salarié, un tel motif pourrait théoriquement être retenu pour prononcer le licenciement du salarié. Cela revient à constater qu’en l’absence de vaccination, l’état de santé du professionnel de santé serait incompatible avec le poste qu’il occupe.

Sur certains métiers cela n’est pas incohérent, ce d’autant plus que le législateur nous dit que le salarié concerné « ne peut plus exercer son activité. » Nous sommes ici, à l’instar de l’analyse portée par la cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt précité (qui ne s’applique que pour les fonctionnaires), sur une inaptitude à exercer du fait de ne pas être vacciné.

Cependant, pour pouvoir procéder à un licenciement pour inaptitude, encore faudrait-il que l’ensemble des conditions législatives, règlementaires et jurisprudentielles encadrant un tel licenciement soient réunies. Les obstacles apparaissent nombreux à commencer par la distinction que l’on doit faire en pareille procédure de licenciement entre une inaptitude temporaire et une inaptitude définitive.

Bref, c’est loin d’être acquis. Si, comme le veut l’adage, tous les chemins mènent à Rome, celui du licenciement pour inaptitude physique en raison d’un défaut de vaccination pourrait bien mener directement au conseil des Prud’hommes avec pour seul résultat une requalification voire une nullité de la mesure d’éviction du salarié.

 

Dans les faits, le risque d’un licenciement est presque inexistant

 

Dans les faits, on constate que cette crainte du licenciement n’apparait pas réellement fondée. Si les obstacles juridiques sont nombreux, il en est un qui apparait difficilement surmontable. C’est l’absence de volonté des employeurs du secteur sanitaire et médico-social de s’inscrire dans une telle logique de rupture du contrat de travail. Ce secteur est confronté à une pénurie de main d’œuvre et un déficit d’attractivité très prégnant sur de nombreux métiers, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Nous pouvons nous tromper mais, et heureusement, n’identifions pas à la date de rédaction du présent article une quelconque velléité de ces employeurs de s’inscrire dans une telle démarche de rupture du lien avec leurs salariés. En revanche, et fort malheureusement, il apparait probable que dans les semaines à venir soient notifiés à l’employeur quelques démissions.

 

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).