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Quel futur pour le numérique en santé ?

Article rédigé le 10 avril 2023 par Me Laurence Huin Me Adriane Louyer et Raphaël Cavan

La consultation publique lancée par l’Agence du Numérique en santé (ANS) le 14 décembre 2022 pour le projet de feuille de route du numérique en santé 2023-2027 s’est terminée le 14 mars dernier. Ce projet s’inscrit dans la continuité de la feuille de route 2019-2022 qui avait pour ambition « d’accélérer le virage numérique en santé » en France.
La nouvelle feuille de route a pour ambition de « Mettre le numérique au service de la santé », et ce, alors que les acteurs du monde sanitaire sont de plus en plus touchés par des cyberattaques comme le démontre le panorama de la cybermenace en 2022 de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Dès lors, comment mettre concrètement le numérique au service de la santé ?

 

 

Le rapport PON-COURY remis le 18 septembre 2018 chargé de dresser un état des lieux de la e-santé en France dans le cadre du projet « Ma santé 2022 », a posé un bilan « sévère » sur l’écosystème français : Manque de coordination entre les professionnels, un usager « oublié » du virage numérique de santé, des professionnels de santé confrontés à une offre morcelée du numérique en santé, ou encore une stratégie nationale du numérique en santé peu lisible malgré l’envie des acteurs publics et privés pour le sujet.
Ce constat a incité le ministère de la santé à établir une feuille de route autour de 5 orientations pour moderniser le système de santé en France. Le bilan de cette politique publié en août 2022 se veut positif, notamment du fait du déploiement de « Mon Espace Santé », des programmes de financement (SUN-ES), de la carte dématérialisée e-CPS, la création du Health Data Hub (HDH), etc..
Ainsi, que peut-on attendre de ce projet de feuille de route 2023-2027 ?

Les acteurs et les outils de la politique du numérique en santé

La politique publique du numérique en santé est mise en œuvre sous le pilotage de la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) qui est accompagnée par les organismes partenaires ayant un rôle dans la santé (ANS, Assurance Maladie, ATIH, CNSA, ANAP, HAS, AIS, PariSanté Campus, Santé publique France, etc.).

La DNS peut également s’appuyer sur les réseaux des acteurs au plus près du terrain que sont les Agences Régionales de Santé (ARS), pilotant chacune leur Groupement d’appui au développement de la e-santé (GRADeS), ou encore le réseau de l’Assurance Maladie (DCGDR et CPAM), en lien étroit avec les collectivités territoriales (conseils départementaux, communes, etc.).

Le projet de feuille de route 2023-2027 entend « s’enraciner dans des valeurs cardinales » que sont l’éthique, la souveraineté et enfin la durabilité.

La Doctrine du numérique publiée en 2020, et depuis mise à jour une fois par an, accompagne également le projet de feuille de route 2023-2027 en traduisant sur le plan technique les différents axes préalablement déterminés dans sa politique. La 4ème et dernière version existante de la Doctrine a été publiée le 21 février 2023 sur le site internet de l’ANS.

Le projet de la feuille de route 2023-2027 s’appuiera sur les mêmes acteurs et les mêmes outils pour sa mise en œuvre, mais reposera sur 4 nouveaux axes d’orientations :

  • « Développer la prévention et rendre chacun acteur de sa santé » afin de « permettre à chacun de mieux agir sur sa santé » ;
  • « Dégager du temps pour tous les professionnels de santé et améliorer la prise en charge des personnes grâce au numérique ;
  • « Améliorer l’accès à la santé pour les personnes et les professionnels qui les orientent » ;
  • « Déployer un cadre propice pour le développement des usages et de l’innovation numérique en santé ».

 

Impliquer l’usager dans la gestion de sa santé avec l’aide du professionnel de santé

Ce premier axe repose essentiellement sur le récent déploiement du service « Mon Espace Santé » permettant à chaque patient de gérer ses données de santé contenues dans son dossier médical partagé (DMP).

Le service permet à chaque patient qui le souhaite d’alimenter soi-même son DMP, ou encore de gérer la liste des professionnels de santé autorisés à consulter leurs données.

Ce service propose également un outil de messagerie sécurisée, permettant aux patients et aux professionnels de santé d’échanger entre eux de manière sécurisée, et ce afin d’arrêter (enfin) l’envoi d’ordonnance via des adresses Gmail.

Enfin, le service ambitionne également la possibilité d’envoyer des messages de prévention auprès des personnes ayant ouvert leur espace de santé selon des critères prédéfinies (Âge, sexe, pathologie déclarée…).

 

Simplifier la pratique des professionnels de la santé dans la prise en charge des patients

Ce deuxième axe fait écho aux vœux du président de la République formulés le 6 janvier dernier à Évry sur les défis et priorités de la politique de la santé en France. Dans son discours, le président a émis le souhait de « libérer du temps médical » pour les médecins, et a annoncé un objectif de recrutement de 10 000 « assistants médicaux » d’ici la fin de l’année prochaine.

Simplifier la vie des professionnels de santé se traduit également par une meilleure lisibilité des offres de services numériques proposés sur le marché, et un accompagnement dans l’utilisation de ces services socles développés par le service public, et des solutions métiers du marché. La feuille de route 2023-2027 vise ici, à titre d’exemple, le déploiement de l’ordonnance numérique auprès des pharmacies, dont le dispositif devrait être généralisé au plus tard le 31 décembre 2024 selon l’Assurance Maladie.

Enfin, améliorer la prise en charge du patient implique une meilleure coordination et coopération entre les professionnels de la santé et du médico-social. Pour répondre à cet objectif, la feuille de route entend expérimenter « la mise en place d’un cadre décentralisé, sécurisé et interopérable de messageries instantanées » leur permettant d’échanger rapidement et en sécurité les informations nécessaires à la prise en charge du patient.

Améliorer l’accès à la santé des usagers à l’aide des solutions numériques

Le projet de feuille de route 2023-2027 mise notamment pour ce troisième axe sur le déploiement de la télésanté, et annonce la production d’un nouveau référentiel fonctionnel des outils de téléconsultation opposable dès 2023, en plus du référentiel fonctionnel de télémédecine publiée par l’ANS le 27 mai 2020.

Le projet de feuille de route s’appuie également sur l’instauration du service d’accès aux soins (SAS) prévu par le Pacte de refondation des urgences et la dernière version de la Doctrine du numérique (page 64 de la Doctrine du numérique en santé). Ce service vise à faciliter la coordination entre la médecine de ville et les professionnels des urgences (SAMU) dans la prise en charge d’une demande de soins vitaux urgents et non programmées par la population partout et à toute heure (Pour plus de précision sur le SAS, n’hésitez pas à consulter notre article sur la Généralisation du SAS rédigé par Me Veran).

De même, le projet « ViaTrajectoire » prévu dans la dernière version de la Doctrine du numérique participe également à l’amélioration de l’accès à la santé pour les personnes, dans la mesure où celui-ci a pour objectif de « faciliter et fluidifier l’orientation des personnes au fil de leur parcours de prise en charge dans les champs sanitaires et médico-sociaux », et ainsi « d’orienter les patients/usagers vers les établissements et services possédant les compétences humaines ou techniques requise » (page 78 de la Doctrine du numérique en santé).

Enfin, le projet de feuille de route compte sur la diffusion massive de l’application carte Vitale, prévue par le décret n° 2022-1719 du 28 décembre 2022, pour permettre les remboursements plus facilement en cas de perte, d’oubli ou d’inaccessibilité de la carte Vitale. Le déploiement de ce dispositif est prévue au plus tard pour le 31 décembre 2025.

La CNIL avait formulé un avis sur le projet de carte vitale numérique, et a précisé dans son communiqué en ligne qu’elle « poursuivra sa mission d’accompagnement des pouvoirs publics tout au long du déploiement de ce nouvel outil numérique ». Cet accompagnement se traduira prochainement par le rendez-vous donné à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) en juin 2023, qui devra lui adresser un bilan sur la mise en œuvre, à titre expérimental, du traitement de données biométriques prévu pour l’authentification des personnes lors de l’activation de l’application, pour lequel l’autorité avait émis dans son avis certaines réserves.

 

Améliorer la sécurité des données et promouvoir leur réutilisation pour l’innovation et la recherche scientifique

Ce quatrième axe devra répondre à la multiplication des cyberattaques auxquelles font face les établissements sanitaires et médico-sociaux.

Le projet de feuille de route 2023-2027 s’appuie sur l’élaboration de référentiels sur les règles de sécurité, d’interopérabilité et d’éthique dans les développements des services et outils du numérique en santé, mais également sur la sensibilisation des acteurs aux enjeux liés à la protection des systèmes informatiques, ainsi que sur la réalisation d’audits plus réguliers et d’exercice de crise cyber au sein des établissements de santé et des structures médico-sociales (Sur ce point, n’hésitez pas à consulter notre newsletter du mois de mars 2023 qui aborde l’enveloppe de 10 millions d’euros déléguées aux ARS pour financer les exercices de crise des établissements de santé).

En outre, le projet de feuille de route 2023-2027 souhaite entamer une modification du cadre réglementaire sur l’hébergement des données de santé afin de renforcer la souveraineté nationale.

Cette modification passerait notamment par une nouvelle certification hébergeur de données de santé (HDS) qui intégrerait « un hébergement systématique des données de santé dans l’Espace économique européen (ou dans un pays offrant un niveau de protection adéquat au sens du RGPD) avec des mesures juridiques ou techniques de réduction du risque de transfert extraterritorial des données », sans pour autant apporter plus de précisions à ce sujet. Affaire à suivre.

Le projet de feuille de route prévoit également que lorsque « qu’une offre suffisamment large sera disponible, les acteurs devront systématiquement opter puis migrer vers des solutions qui ne dépendent pas de droits et capitaux extra-européens ». Cette exigence s’inscrit dans la continuité du projet de schéma européen de certification de cybersécurité pour les services de cloud (EUCS).

Enfin, la réutilisation secondaire des données de santé et leur ouverture pour développer la recherche et l’innovation sont également des enjeux fixés par la nouvelle feuille de route, qui ambitionne au niveau européen la poursuite d’un projet d’interconnexion de plateformes nationales pour la réutilisation secondaire des données de santé.

Le projet de feuille de route envisage éventuellement l’intégration d’une brique fonctionnelle dans « Mon Espace de Santé » pour permettre aux usagers de définir leurs préférences en matière de réutilisation de leurs données pour la recherche.

Ces prochaines années promettent de nombreux changements pour la e-santé en France, qui impacteront nécessairement les usages et pratiques des professionnels de la santé, mais également le quotidien des usagers dans la gestion de leur santé.

Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.

Avant de rejoindre le cabinet Houdart & Associés en 2021, Adriane Louyer a travaillé au sein de cabinets d’avocats et de plusieurs administrations publiques. Elle dispose de compétences en droit administratif et a développé une expertise juridique en droit des données dans le secteur public (droit des données personnelles, open data, droit d’accès aux documents administratifs).

Au sein du pôle santé numérique, elle conseille et assiste les établissements publics et privés du secteur sanitaire et médico-social en droit du numérique.