Autorisations sanitaires et transaction, mieux vaut prévenir que guérir
Article rédigé le 25 octobre 2021 par Me Nicolas Porte
En matière d’autorisation sanitaire, le recours en annulation des décisions prises par l’ARS est souvent utilisé comme une arme tactique destinée à bloquer la mise en œuvre d’un projet autorisé ou « inciter » le titulaire de l’autorisation à négocier. L’annulation de l’autorisation n’étant pas toujours le but premier de celui qui la demande en justice, la voie de la transaction peut présenter dans ce contexte un intérêt certain.
Toutefois, la transaction dans le domaine du recours en excès de pouvoir est longtemps restée interdite et ce n’est que récemment que l’état du droit a évolué sur ce point. Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai du 11 mai 2021 parachève cette évolution en consacrant la possibilité de transiger de façon préventive
Un bon accord vaut mieux qu’un mauvais procès a-t-on coutume de dire. C’est parce qu’ils pensaient pouvoir tirer avantage de l’un et de l’autre que des médecins nucléaires libéraux ont donné à leurs dépens l’occasion à la juridiction administrative de se prononcer sur la validité d’un protocole transactionnel conclu à titre préventif.
Un accord transactionnel visant à sécuriser l’offre de médecine nucléaire havraise.
L’affaire est l’un des multiples épisodes des relations pour le moins tumultueuses entre le centre hospitalier du Havre et des médecins nucléaires libéraux havrais.
Le centre hospitalier et la société civile de moyens regroupant les médecins nucléaires libéraux avaient constitué ensemble un groupement de coopération sanitaire afin d’exploiter un appareil TEP (tomographe à émission de positons) dans les locaux de l’hôpital. En raison de mésententes entre les deux partenaires, le GCS fut dissous en 2015 et l’hôpital public constitua avec un centre régional de lutte contre le cancer un nouveau GCS qui se vit accorder par l’ARS, l’autorisation d’exploiter l’appareil TEP, autorisation pour laquelle la SCM avait également candidaté.
A la demande de la SCM, le Tribunal administratif de Rouen annula l’autorisation en raison d’un vice de forme dans la procédure d’attribution, mais différa les effets de l’annulation afin de laisser le temps à l’ARS de relancer une procédure d’attribution à laquelle les deux parties en litige participèrent.
C’est dans ce contexte que le centre hospitalier, la SCM et ses médecins libéraux associés conclurent le 30 novembre 2017 un protocole transactionnel aux termes duquel les parties s’engagèrent réciproquement à « ne pas former de recours contre l’autorisation d’exploiter un TEP sur le territoire du Havre qui serait accordée à l’une des parties ou à un groupement dont l’une des parties serait membre ».
Quelques semaines après la signature du protocole transactionnel, le GCS obtint à nouveau l’autorisation d’exploiter le TEP. En violation du protocole, la SCM et les médecins libéraux formèrent un recours en excès de pouvoir aux fins de faire annuler la décision d’autorisation.
En première instance comme en appel, les requérants soutinrent notamment que l’existence de la transaction conclue avec le centre hospitalier ne faisait pas obstacle à leur action en justice car le droit au recours en excès de pouvoir est d’ordre public et les administrés ne peuvent, par transaction, renoncer à l’exercer.
Le Tribunal administratif rejeta leur recours comme irrecevable, jugeant que « la seule circonstance que les requérants aient renoncé par avance dans le cadre d’une transaction préventive, à exercer un recours pour excès de pouvoir […] ne permet pas de faire regarder le protocole transactionnel du 30 novembre 2017, qui comporte des concessions réciproques et équilibrées des parties, comme méconnaissant une règle d’ordre public » (TA de Rouen 20 juin 2019, n°1801167 et 1801168).
La Cour Administrative de Douai fit de même, estimant que « aucune disposition législative ou réglementaire applicables aux autorisations délivrées par les agences régionales de santé en matière d’équipements matériels lourds, ni aucun principe général du droit ne fait obstacle à ce qu’un établissement public de santé conclut avec un particulier ou un autre établissement privé de santé une transaction par laquelle, dans le respect des conditions précédemment mentionnées, les parties conviennent de mettre fin à l’ensemble des litiges nés de l’édiction de cette décision ou de prévenir ceux qu’elle pourrait faire naître, incluant la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Le moyen tiré de l’illicéité de la clause de renonciation à recours, en ce qu’elle vaut renoncement à exercer un recours pour excès de pouvoir, du protocole transactionnel signé entre les parties le 30 novembre 2017 doit donc être écarté » (CAA Douai, 11 mai 2021, n°19DA01945).
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai et le jugement du Tribunal administratif de Rouen s’inscrivent dans un mouvement doctrinal et jurisprudentiel relativement récent qui est venu reconnaître la possibilité de renoncer au recours en excès de pouvoir par voie de transaction.
La transaction administrative dans le contentieux de l’excès de pouvoir, une possibilité récente.
La faculté de transiger en contentieux de l’excès de pouvoir a, longtemps, été considérée comme interdite par une doctrine publiciste dominante [V. not. René Chapus. Droit du contentieux administratif, 13ème édition, 2008, n°1075, p.956. A. Lyon-Caen « Sur la transaction en droit administratif » AJDA, 1997, p.48] pour laquelle le recours en excès de pouvoir est d’ordre public car il a pour objet d’assurer, non pas la préservation d’intérêts privés, mais le respect de la légalité. Or, le code civil (article 6) interdit de déroger par des conventions particulières aux matières intéressant l’ordre public. Cette position doctrinale s’appuyait notamment sur des décisions de juridictions du fond, en particulier sur un arrêt « Boyer » du 30 décembre 1996 (CAA Paris 30 déc. 1996, n°95PA02185) par lequel la Cour administrative d’appel de Paris avait jugé qu’un protocole d’accord transactionnel : « ne [pouvait] être de nature à interdire à l’intéressé l’exercice du recours pour excès de pouvoir, lequel n’a pas pour objet la défense de droits subjectifs, mais d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité (…) ».
Mais cette approche « traditionnelle » du contentieux de l’excès de pouvoir n’était plus guère en phase avec les pratiques contentieuses actuelles où l’on constate que nombre de plaideurs utilisent aujourd’hui ce recours pour servir leurs intérêts particuliers, la sauvegarde de la légalité étant pour eux une préoccupation très secondaire. Dans une approche beaucoup plus pragmatique, certains auteurs ont remis en cause le caractère absolu de l’impossibilité de renoncer par voie de transaction à un recours en excès de pouvoir [v. not. J. Gourdou et A. Bourrel, commentaires sous CE. 23 avril 2001 n°215552, D. 2001, Anne Courrèges dans ses conclusions sur l’arrêt Ville de Paris (CE 30 janvier 2008 n°299675 ; AJDA 2008, p.281 et Frédéric ALHAMA « Transaction et renonciation à l’exercice du recours pour excès de pouvoir », RFDA mai-juin 2017, p. 503 et s.]
Ce mouvement doctrinal s’est accompagné d’une évolution législative et jurisprudentielle s’orientant graduellement vers une remise en cause de l’interdiction de renoncer par transaction à l’exercice d’un recours en excès de pouvoir toutes les fois que la sauvegarde de la légalité administrative n’est pas en jeu.
La remise en cause de la jurisprudence « Boyer » fut initiée par un arrêt « Ligue d’escrime du Languedoc Roussillon » du 18 novembre 2011, dans lequel le Conseil d’Etat donna acte à la Ligue requérante de son désistement d’un recours en excès de pouvoir résultant de la production par la partie défenderesse d’un protocole transactionnel conclu sur le fondement de l’article 2044 du code civil et stipulant une clause de renonciation réciproque à toute instance et action (CE, 18 novembre 2011, n° 343117, Ligue d’escrime du Languedoc-Roussillon, Lebon).
En matière de droit de l’urbanisme, le législateur a reconnu, en 2013, la possibilité de s’engager par voie de transaction à se désister d’un recours en annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager en contrepartie d’une somme d’argent (cf. article L 600-8 du code de l’urbanisme issu de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme).
Cette évolution doctrinale, jurisprudentielle et législative trouva une traduction générale dans l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 qui inscrivit à l’article L 423-1 du code des relations entre le public et l’administration la possibilité de conclure avec l’administration une transaction pour mettre fin à une contestation déjà née ou prévenir une contestation à naître :
« Ainsi que le prévoit l’article 2044 du code civil et sous réserve qu’elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l’administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit ».
L’article L 423-1 du CRPA légalise ainsi explicitement les transactions aussi bien extinctives (conclues postérieurement l’introduction du recours) que préventives (conclues avant la saisine du juge), sans exclure de son champ d’application le contentieux de l’excès de pouvoir.
Tirant les conséquences de cette évolution législative, le Conseil d’Etat, par une décision du 26 octobre 2018, admis la possibilité de renoncer par avance à exercer un recours juridictionnel dès lors que cette renonciation intervient dans le cadre d’un protocole transactionnel répondant aux conditions de validité énoncées à l’article L 423-1 du CRPA, c’est-à-dire portant sur un objet licite et contenant des concessions réciproques et équilibrées (CE, 10e et 9e ch. réunies, 26 octobre 2018, n°421292, Lebon T, à propos d’une transaction conclue entre l’administration pénitentiaire et un détenu, par laquelle celui-ci renonçait à tout recours contre le ministère de la justice portant sur le versement des rémunérations qui lui étaient dues).
Toutefois, cette décision avait été rendue dans un litige ne relevant pas stricto sensu du contentieux de l’excès de pouvoir du fait de sa nature indemnitaire. Il subsistait, par conséquent, un doute quant à la possibilité de transiger dans ce type de contentieux.
La clarification est finalement venue d’une décision du Conseil d’Etat du 5 juin 2019, rendue dans une affaire dans laquelle un agent hospitalier à la retraite ayant contesté, par un recours en excès de pouvoir, la décision de son ancien établissement de l’admettre à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service, avait finalement conclu avec ce dernier un protocole transactionnel pour mettre un terme définitif au litige.
Selon la Haute Juridiction : « Aucune disposition législative ou réglementaire applicable aux agents de la fonction publique hospitalière, ni aucun principe général du droit, ne fait obstacle à ce que l’administration conclue avec un fonctionnaire régi par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, ayant fait l’objet d’une décision l’admettant à la retraite pour invalidité non imputable au service, une transaction par laquelle, dans le respect des conditions précédemment mentionnées, les parties conviennent de mettre fin à l’ensemble des litiges nés de l’édiction de cette décision ou de prévenir ceux qu’elle pourrait faire naître, incluant la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et celle qui tend à la réparation des préjudices résultant de son éventuelle illégalité ». (CE, 5 juin 2019 5e et 6e ch. réunies, Centre Hospitalier de Sedan, n°412732).
Ce faisant, le Conseil d’Etat reconnait ainsi sans ambiguïté la possibilité de renoncer par transaction à exercer un recours en excès de pouvoir.
La reconnaissance du droit pour les établissements publics de santé de conclure des transactions préventives en matière d’autorisations sanitaires.
L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai du 11 mai 2021 parachève la jurisprudence « Centre Hospitalier de Sedan » en la complétant sur deux aspects.
En premier lieu, les juges Douaisiens reconnaissent la validité d’une transaction préventive, portant sur la renonciation anticipée à l’exercice d’un recours en excès de pouvoir. Mais ceci n’est guère une surprise car la rédaction de l’article L 423-1 du CRPA ne laisse aucun doute sur la validité de ce type de transaction.
En second lieu (et c’est là le principal apport de l’arrêt), la Cour de Douai admet implicitement qu’il est possible de renoncer par avance à exercer un recours contre un acte administratif qui n’a pas encore été édicté. Car tel était bien le cas en l’espèce : le protocole transactionnel avait été signé le 30 novembre 2017 et la décision d’autorisation attaquée avait quant à elle été prise par l’ARS, le 31 janvier 2018.
Les requérants soutenaient qu’au nom du respect au principe constitutionnel du droit au recours, il n’était pas possible de renoncer, par avance, à exercer un recours en excès de pouvoir contre une décision de l’administration qui n’a pas encore été prise, au motif que l’on ne peut renoncer qu’à des droits dont on a la libre disposition.
Selon certains auteurs, « une personne ne peut valablement renoncer par voie de transaction à demander l’annulation d’un acte non encore édicté à la date de conclusion du contrat – le droit d’action étant alors indisponible » (F. ALAHAMA « La renonciation au recours pour excès de pouvoir par voie de transaction ; note sur CE, 25 juin 2019, AJDA 2019 p. 2282).
Toutefois, cet argument est fondé sur une approche très théorique du droit au recours et s’avère souvent inopérant dans la pratique. Il est, en effet, plutôt rare que deux parties décident de conclure un protocole transactionnel par lequel elles renoncent à l’avance à contester un acte administratif unilatéral si elles n’ont pas quelque certitude que cet acte sera édicté en faveur de l’une d’entre-elles. Sinon, la transaction préventive ne présente guère d’intérêt.
C’était précisément le cas dans l’affaire qu’a eu à juger la Cour administrative d’appel de Douai. A la date signature de la transaction, la SCM et le centre hospitalier avaient, tous les deux, candidaté (par le biais du GCS s’agissant du centre hospitalier) à l’obtention de l’autorisation de TEP et avaient la certitude que cette autorisation serait attribuée à l’un d’eux, puisqu’ils étaient les deux seuls opérateurs de santé à pratiquer la médecine nucléaire sur le territoire du Havre. Leur qualité de candidats concurrents à l’obtention d’une autorisation sanitaire leur donnait le droit de contester le résultat futur du processus de sélection dans lequel ils étaient engagés. Et il n’est pas douteux que les deux candidats avaient la libre disposition de leur droit d’action. Le droit de renoncer à l’exercice d’un recours en justice n’est-il pas en effet le corollaire du droit de ne pas exercer ce recours ?
Quant à la question de savoir si les autorisations sanitaires (qui ont la nature d’autorisations de police) peuvent faire l’objet de transactions, la réponse est à notre sens affirmative dès lors que les parties à l’accord transactionnel n’ont pas la compétence pour édicter l’autorisation.
En transigeant, le centre hospitalier et la SCM n’ont pas renoncé à exercer une prérogative dont ils n’ont pas la libre disposition – celle d’édicter des actes administratifs unilatéraux dans le respect des règles de droit – puisqu’ils ne sont pas les auteurs de l’acte. Chaque signataire du protocole transactionnel s’est, simplement, engagé à ne pas porter atteinte aux intérêts particuliers de l’autre partie en renonçant à contester l’autorisation d’exploitation dont celle-ci pourrait bénéficier. Il ne s’agit donc pas ici de « monnayer » le maintien dans l’ordonnancement juridique d’une décision potentiellement illégale, puisqu’aucune des parties signataires n’a le pouvoir de la modifier ou de l’annuler. Il s’agit, seulement, de s’interdire de remettre en cause une décision individuelle créatrice de droits pour celui qui en est le bénéficiaire.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai précise la jurisprudence « Centre Hospitalier de Sedan » et étend un peu plus le champ de la renonciation au recours en excès de pouvoir par voie de transaction. Le fait que les établissements publics de santé (comme du reste, les établissements de santé et autres opérateurs de santé privés) puissent désormais y recourir à titre préventif, avant même l’édiction de l’acte administratif susceptible d’être attaqué, leur fournit un outil stratégique fort utile pour sécuriser juridiquement leurs autorisations d’activité de soins et d’équipements matériels lourds.
Mais cette possibilité de transiger n’est évidemment pas sans limite. La transaction ne pourra en aucune manière être contraire à l’ordre public et les parties à l’accord transactionnel devront, avant de le signer, prendre soin de s’interroger sur le point de savoir si elles peuvent librement disposer des droits auxquels elles s’apprêtent à renoncer. C’est d’autant plus vrai s’agissant des établissements publics de santé qui ne peuvent librement renoncer aux missions de service public pour l’exercice desquelles ils ont été créés.
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.