CORONAVIRUS : OUVERTURE EN URGENCE DE NOUVELLES UNITÉS DE RÉANIMATION ?
Article rédigé le 23 mars 2020 par Me Nicolas Porte et Me Stéphanie Barré-Houdart
Alors que la pandémie de COVID-19 prend chaque jour plus d’ampleur, les hôpitaux publics, en première ligne dans cette « guerre » contre le virus, craignent d’être submergés par l’afflux de malades et de ne pas pouvoir assurer la prise en charge de toutes les personnes les plus gravement atteintes. C’est malheureusement déjà le cas dans le Haut-Rhin, où les capacités en réanimation sont saturées depuis déjà plusieurs jours, contraignant le personnel soignant à devoir faire des choix éthiques difficiles.
Dans d’autres régions, notamment en Ile-de-France, les services hospitaliers se préparent à affronter dans les jours à venir une arrivée massive de cas graves, faisant craindre là aussi une saturation des services de réanimation ( Cf. Le Monde.fr).
La France compte environ 5300 lits de réanimation et 5800 lits de soins intensifs (hors néonatologie).
La mise en œuvre du Plan Blanc dans les hôpitaux publics et les mesures de réorganisation d’activité prises par les cliniques privées (Consistant notamment dans la déprogrammation massive d’interventions chirurgicales non essentielles cf. L’Edito du Président de la FHP ) ont permis de libérer des lits et du personnel, mais ce redéploiement interne aux établissements de santé trouve sa limite dès lors que les capacités maximales d’hospitalisation sont atteintes.
Le premier niveau de réponse externe apporté par les pouvoirs publics a été de faire appel au service de santé des armées, qui achève d’installer sur le site du Centre Hospitalier de Mulhouse un « hôpital de campagne » doté d’une unité de réanimation de 30 lits.
Malheureusement, aussi précieux soit-il, ce renfort sera insuffisant.
Dans ce contexte est-il envisageable d’étendre encore les capacités en soins critiques dans les hôpitaux civils en ouvrant dans les prochains jours de nouvelles unités de réanimation au sein d’établissements qui n’en sont pas dotés ?
La réponse à cette question soulève des problèmes d’ordre juridique et surtout pratique.
Est-il possible juridiquement d’accorder des autorisations dérogatoires en réanimation ?
Juridiquement, il est tout à fait possible d’autoriser dans des délais très courts des établissements de santé à exercer une activité de réanimation.
En effet, une ordonnance n° 2018-4 du 3 janvier 2018 a inséré dans [dt_tooltip title=”le code de la santé publique un article L 6122-9-1″]« Par dérogation aux dispositions des articles L. 6122-2, L. 6122-8 et L. 6122-9, en cas de menace sanitaire grave constatée par le ministre chargé de la santé dans les conditions prévues à l’article L. 3131-1, le directeur général de l’agence régionale de santé peut autoriser pour une durée limitée un établissement de santé à exercer une activité de soins autre que celle au titre de laquelle il a été autorisé. Cette implantation n’est pas comptabilisée dans les objectifs quantifiés de l’offre de soins ».[/dt_tooltip] qui permet, en cas de menace sanitaire grave constatée par le ministre chargé de la santé, aux Directeurs généraux des agences régionales de santé d’autoriser pour une durée limitée des établissements de santé à exercer des activités de soins pour lesquelles ils ne sont pas encore autorisés.
Cette autorisation dérogatoire est accordée sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre la procédure habituelle d’attribution et sans qu’il soit besoin de respecter les conditions ordinaires d’octroi énoncées à l’article L 6122-2. Cette autorisation n’est pas non plus soumise à la planification sanitaire. Son implantation n’est pas comptabilisée dans les objectifs quantifiés de l’offre de soins fixés par le schéma régional de santé.
Dire que la menace sanitaire grave est avérée relève de l’évidence. D’ailleurs, comme l’exige l’article L 6122-9-1 précité, cette menace a été officiellement constatée par le ministre de la santé, par un arrêté du 14 mars 2020, pris au visa de l’article L 3131-1 du code de la santé publique.
Les conditions juridiques de base sont par conséquent réunies pour appliquer ces dispositions.
Leur mise en œuvre s’impose dans les circonstances exceptionnelles auxquelles nous faisons face et l’on ne peut que se féliciter que le Ministre des solidarités et de la santé vienne d’habiliter les Directeurs généraux d’ARS, jusqu’au 15 avril 2020, à délivrer des autorisations d’activité de soins en application de l’article L 6122-9-1 du code de la santé publique.
En pratique : Peut-on « up-grader » des unités de soins intensif ?
Reste à savoir si en pratique, il est possible d’ouvrir dans l’urgence de nouvelles unités de réanimation : dispose-t-on des matériels, des équipements et personnels ?
L’une des voies consiste à « up-grader » les unités de soins intensifs. Beaucoup d’hôpitaux publics et privés par ailleurs autorisés en réanimation l’ont déjà fait.
Mais qu’en est-il des établissements de santé dotés d’unités de soins intensifs qui ne sont pas autorisés à pratiquer la réanimation ?
La réponse à cette question ne peut être donnée – et doit l’être dans l’urgence- que par les experts de terrain : médecins, décideurs hospitaliers et autorités sanitaires. Les juristes que nous sommes pouvons seulement la poser et fournir quelques premiers éléments de réflexion.
Les soins intensifs est l’activité de soins qui présente la plus grande proximité avec la réanimation.
Selon le code de la santé publique, les unités de réanimation sont destinées « à des patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant directement en jeu le pronostic vital et impliquant le recours à des méthodes de suppléance ».
L’ouverture d’une unité de réanimation implique de remplir des conditions techniques d’implantation et de fonctionnement prévues par le code de la santé publique.
Quelle sont ces normes ?
Le tableau ci-dessous en fourni une synthèse, pour ce qui concerne la réanimation adulte.
Permanence de soins | Accueil, prise en charge diagnostique et thérapeutique et surveillance des patients H24, 7J/7 Permanence médicale et paramédicale à la disposition exclusive de l’unité Permanence médicale assurée par au moins un médecin membre de l’équipe médicale de l’unité. Pour les EPS et les ESPIC : possibilité hors service de jour, de faire assurer la permanence par un interne doublé d’un senior en astreinte opérationnelle | art. R 6123-34 art. R 6123-35 art. D 6124-29 art. D 6124-29 |
Sécurité et continuité des soins | Organisation du retour et du transfert des patients dans les USC ou toute autre unité d’hospitalisation complète (le cas échéant, par convention) | art. R 6123-34 |
Capacités de l’unité de réanimation | 8 lits minimum Par dérogation du DGARS : 6 lits minimum. | art. R 6123-36 |
Installations de l’établissement titulaire de l’autorisation | En hospitalisation complète : Installations de médecine et de chirurgie ou installations de chirurgie. Par dérogation : Installations de médecine en hospitalisation complète, si convention de transfert des patients vers des Ets dotés d’installations de chirurgie | art. R 6123-38 |
Installations de l’établissement titulaire de l’autorisation | Au moins une unité de surveillance continue (USC) | art. R 6123-38 |
Installations de l’établissement titulaire de l’autorisation | Une unité de soins intensifs (USI) ou organisation du transfert par convention vers des Ets dotés d’une USI | art. R 6123-38 |
Locaux de l’unité de réanimation | Trois zones : zone d’accueil zone d’hospitalisation zone technique de nettoyage, de décontamination et de rangement de matériels | art. D 6124-27 |
Locaux de l’unité de réanimation | Pièce permettant aux médecins d’assurer la permanence médicale sur place H24, 7j/7. | art. D 6124-28 |
Moyens techniques | Mise en œuvre prolongée de techniques spécifiques. Utilisation dispositifs médicaux spécialisés | art. R 6123-35 |
Moyens techniques | 1° Équipements mobiles permettant de réaliser des examens de radiologie classique, d’échographie, d’endoscopie bronchique et digestives (sur site) 2° un secteur opératoire (avec au moins une salle aseptique et des moyens de surveillance post- interventionnelle (sur site ou par convention) 3° Moyens techniques pour la réalisation d’examens en scanographie, angiographie et IRM (sur site ou par convention) 4° Laboratoire pour la réalisation d’examens de bactériologie,biochimie, hémostase et gaz du sang (sur site ou par convention) | art. D 6124-28-1 |
Équipe médicale de l’unité | Un ou plusieurs médecins qualifiés compétents en réanimation ou titulaires du diplôme d'études spécialisées complémentaire de réanimation médicale lorsqu'il s'agit d'une unité à orientation médicale ou médico-chirurgicale. Le cas échéant, un ou plusieurs médecins ayant une expérience attestée en réanimation selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé de la santé. | art. D 6124-31 |
Équipe paramédicale de l’unité | Sous la responsabilité d'un cadre infirmier, au minimum : - deux infirmiers ou infirmières pour cinq patients ; - un aide-soignant pour quatre patients. | art. D 6124-32 |
Autres compétences paramédicales | L'établissement de santé est en mesure de faire intervenir en permanence un masseur- kinésithérapeute justifiant d'une expérience attestée en réanimation et dispose, en tant que de besoin, d'un psychologue ou d'un psychiatre et de personnel à compétence biomédicale. | art. D 6124-33 |
Au vu des conditions techniques ci-dessus décrites dont certaines peuvent être remplies en passant des conventions avec d’autres établissements (et encore, peut-on imaginer dans un scénario encore dégradé, que des unités de réanimation répondant imparfaitement à l’ensemble de ces conditions pourraient être ouvertes temporairement dans un contexte d’urgence absolue), il est permis de penser que certains établissements de santé dotés d’une unité de soins intensifs pourront être autorisés à titre dérogatoire à pratiquer la réanimation.
Les moyens matériels et humains : le nerf de la guerre
Il reste que l’ouverture d’unités de réanimation n’est réalisable que si elles peuvent disposer non seulement du personnel qualifié, mais surtout des moyens matériels nécessaires pour prendre en charge les patients atteints du COVID-19, à commencer par des masques de protection et des respirateurs artificiels.
D’après les données disponibles en open data issue de la base Hospidiag, il y aurait environ 80 établissements de santé non autorisés en réanimation mais dotés d’une unité de soins intensifs, pour la plupart d’entre elles, doublée d’une unité de surveillance continue. Dans leur très grande majorité, les structures concernées dépendent d’établissements de santé privés.
Certes, cela ne veut pas dire que toutes ces unités sont « up-gradables ». Une telle possibilité nécessite d’être étudiée au cas par cas, au regard notamment de la taille de l’établissement, de sa situation géographique et de ses moyens techniques et humains immédiatement disponibles.
Et certains établissements et ce compris du secteur privé bien dotés en respirateurs artificiels et personnels de réanimation pourraient se voir imposer l’ouverture de telles unités…
L’urgence et l’impérieuse nécessité de répondre par des moyens exceptionnels à la crise sanitaire légitiment nombre d’entorses au droit ; encore faut-il que le système soit en capacité par les moyens qu’il est capable de mobiliser de bénéficier de cet assouplissement.
Rien ne sert que notre droit soit conçu pour s’adapter aux crises sans anticipation du politique.
Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.
Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :
- contrats d’exercice, de recherche,
- tarification à l’activité,
- recouvrement de créances,
- restructuration de la dette, financements désintermédiés,
- emprunts toxiques
Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.
Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.