LA LETTRE DU SERVICE PUBLIC DE SANTÉ #5
OCTOBRE 2023
Me Laurent Houdart, Me Stephanie Barré-Houdart, Me Guillaume Champenois, Me Nicolas Porte et Marie-Béatrice Rigeade ont participé à la rédaction de cette lettre.
SOMMAIRE
DÉCRYPTAGE
Les DG d’ARS autorisés à déroger à la réglementation
Dans la suite des Préfets, sommés de prendre une part de responsabilité et de risque « en ajustant la norme à l’intérêt général du terrain », les directeurs généraux d’ARS sont amenés à devenir les promoteurs, dans leur champ d’intervention, de la dérogation à la norme. Il s’agit de répondre aux besoins des territoires et aux situations locales particulières. Mais de quelles normes parle-t-on ? Comment éviter l’écueil de l’atteinte au principe d’égalité entre opérateurs ? Quel bilan coûts/avantages pour s’assurer que la dérogation ne portera pas atteinte à la qualité et à la sécurité des prises en charge ? Comment éviter le développement contentieux ? Questions essentielles auxquelles le dispositif ne permet de répondre qu’imparfaitement.
Le décret n°2023-260 du 7 avril 2023 consacre, dans le code de la santé publique, le droit de dérogation du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) :
« Le directeur général de l’agence régionale de santé peut déroger à des normes arrêtées par l’administration de l’Etat, prévues par le présent code ou par le code de l’action sociale et des familles, ou prises en application de l’un de ces deux codes, pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence (…) » ( article 1435-40 du code de la santé publique).
Il pérennise ainsi le droit qui avait été accordé à titre expérimental aux directeurs généraux par le décret n°2017-1862 du 29 décembre 2017 en ces termes :
« A titre expérimental et jusqu’au 30 novembre 2021, dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, le directeur général de l’agence régionale de santé peut déroger à une norme réglementaire dans les conditions fixées par les articles 2 à 4 » ( Article 1 version issue du décret 2021-788).
Droit de dérogation qui ne pouvait porter que sur les décisions suivantes :
« Le directeur général de l’agence régionale de santé peut déroger aux normes suivantes :
1° Pour les décisions prises sur le fondement de l’article L. 313-1-1 du code de l’action sociale et des familles : les dispositions de l’article D. 313-2 de ce code et celles du 4° de l’article R. 313-4-1 du même code ; ( Abrogé)
2° Pour les décisions prises sur le fondement de l’article R. 1161-4 du code de la santé publique : l’arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner l’éducation thérapeutique du patient ;
3° Pour les décisions prises sur le fondement de l’article R. 1434-41 du code de la santé publique : les arrêtés auxquels renvoient les dispositions du II de cet article ;
4° Pour les décisions prises sur le fondement de l’article R. 6312-1 du code de la santé publique : l’arrêté du 21 décembre 1987 relatif à la composition du dossier d’agrément des personnes effectuant des transports sanitaires terrestres et au contrôle des véhicules affectés aux transports sanitaires ;
5° Pour les décisions prises sur le fondement de l’article R. 6315-6 du code de la santé publique : les dispositions du dernier alinéa de cet article (Abrogé)» (Article 2 version initiale).
Six expérimentations ont été lancées, le bilan a été considéré comme positif (Rapport d’évaluation sur la mise en œuvre du droit à dérogation des directeurs généraux des agences régionales de santé, en application de l’article 68 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service de la confiance, transmis à la commission des affaires sociales et à la commission des finances du Sénat, non disponible en ligne), ce qui a conduit à généraliser le dispositif.
Il fait écho au droit de dérogation accordé au préfet (d’abord là aussi à titre expérimental aux termes du décret n°2017-1845 du 29 décembre 2017 puis de manière pérenne par le décret n°2020-412 du 8 avril 2020). La présente analyse se nourrira d’ailleurs de deux arrêts du Conseil d’Etat (n°421871, 17 juin 2019, Association Les Amis de la Terre France, et n° 440871, 21 mars 2022, Association Les Amis de la Terre France) et du Rapport d’évaluation de l’Inspection Générale de l’Administration de juin 2022 ( ci-après le « Rapport d’évaluation »), intéressant chacun le droit de dérogation du préfet, tant la parenté entre les deux dispositifs est évidente.
À quelles normes peut-il être dérogé ?
Les normes auxquelles il peut être dérogé sont, aux termes de l’article R. 1435-40 du code de la santé publique, « des normes arrêtées par l’administration de l’Etat, prévues par le présent code ou par le code de l’action sociale et des familles, ou prises en application de l’un de ces deux codes ».
La formulation, considérée par beaucoup comme maladroite, englobe certainement toutes les normes du pouvoir réglementaire étatique : en particulier les décrets, arrêtés, circulaires réglementaires.
Comme le relevait M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public, dans ses conclusions « (…) malgré l’ambiguïté créée par la formule « normes arrêtées par l’administration de l’Etat », il faut selon nous comprendre que l’on peut également dérogées à des normes décrétées par l’Etat. » (sur CE 17 juin 2019 n°421871).
D’aucune manière en revanche, la dérogation ne peut porter atteinte à une disposition de caractère législatif ; ce qui peut être le cas si les dispositions réglementaires auxquelles il est souhaité déroger ne sont qu’une déclinaison de principes fixés par la loi.
Toutefois « La formulation retenue (…) pourrait également laisser accroire que les normes ciblées seraient celles qui relèvent du pouvoir autonome, au sens de l’article 37 de la Constitution. Mais, sur le plan juridique, la formulation du décret ne saurait exclure par principe des dérogations à des textes réglementaires pris pour l’application d’une loi ou transposant une directive européenne, dès lors que la norme réglementaire à laquelle il serait dérogé correspond à une précision ou un ajout que n’imposerait ni n’impliquerait le texte supérieur de référence. » (Rapport d’évaluation).
Par ailleurs, les ARS ne sont pas autorisées à déroger à une norme fixée par d’autres pouvoirs publics que l’État (par exemple par un conseil départemental dans le secteur médico-social).
Des questions restent néanmoins, et à défaut d’éclairage, en suspens :
- Parmi les normes « dérogeables », doit-on inclure celles émanant des établissements publics et agences de l’Etat si nombreux dans le secteur sanitaire ( ANSM, ANAP, ABM, …) ?
- Si un directeur général d’ARS peut déroger à une règle qu’il a lui-même édictée, qu’en est-il dans l’hypothèse d’une compétence décisionnelle partagée entre plusieurs autorités ( ARS/ Préfet/ Président du Conseil général) ?
- Outre les actes formalisés relevant du « Droit dur », le droit de dérogation touche-t-il également les cahiers des charges, les référentiels techniques, les recommandations ? A cette dernière interrogation, le communiqué de presse du Ministre de la santé, François Braun, du 12 avril 2023 semble répondre :« Par exemple, les directeurs généraux des ARS pourront simplifier les cahiers des charges imposés dans certaines procédures (labellisation des hôpitaux de proximité, organisation de la permanence des soins, appels à projets dans le secteur médico-social, etc.). (…)»
Enfin, se distinguant du droit de dérogation reconnu au préfet, les normes dérogeables doivent nécessairement être codifiées soit dans le code de la santé publique, soit dans le code de l’action sociale et des familles ou encore être prises en application de l’un de ces deux codes. Ce qui réduit d’autant le champ des possibles.
Quels sont les domaines concernés ?
Si aucun droit de dérogation « général » n’ait attribué au directeur général d’ARS, on assiste à un élargissement du champ des matières pouvant faire l’objet de dérogation par rapport à la phase expérimentale.
L’expérimentation autorisait à l’origine des dérogations sur des normes déterminées de sorte qu’elle répondait aux principes d’une expérimentation classique qui consiste à édicter précisément à quoi on déroge, et comment ( voir supra).
Désormais, le droit de dérogation peut être mis en œuvre aux termes de l’article R. 1435-40 du code de la santé publique (issu du décret n°2023-260 du 7 avril 2023) dans sept domaines, sans autre précision :
1° L’organisation de l’observation de la santé dans la région ainsi que de la veille sanitaire, en particulier du recueil, de la transmission et du traitement des signalements d’événements sanitaires ;
2° La définition, le financement et l’évaluation des actions visant à promouvoir la santé, à informer et à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d’autonomie ;
3° L’évaluation et la promotion des formations des professionnels de santé ;
4° Les autorisations en matière de création et d’activités des établissements de santé, des installations mentionnées aux articles L. 6322-1 à L. 6322-3 [Chirurgie esthétique], ainsi que des établissements et services médico-sociaux mentionnés à l’article L. 313-3 du code de l’action sociale et des familles [établissements et services médico-sociaux soumis à autorisation];
5° La répartition territoriale de l’offre de prévention, de promotion de la santé, de soins et médico-sociale ;
6° L’accès à la prévention, à la promotion de la santé, aux soins de santé et aux services psychosociaux des personnes en situation de précarité ou d’exclusion ;
7° La mise en œuvre d’un service unique d’aide à l’installation des professionnels de santé.
L’Instruction interministérielle n°SGMCAS/pôle de santé-ARS/2023/100 du 27 juin 2023 relative à la mise en œuvre du décret n°2023-260 du 7 avril 2023 relatif au droit de dérogation du directeur général de l’agence régional de santé ( ci-après « l’Instruction consacrée au droit de dérogation du directeur général d’ ARS ») précise que l’énumération s’inspire de l’article L. 1431-2 du code de la santé publique qui définit les compétences des directeur généraux d’ARS. « Le décret n’en a repris que les éléments principaux, qui couvrent l’ensemble des secteurs d’intervention des ARS (…) »
Il sera souligné que le droit de dérogation n’est reconnu au directeur général de l’ARS que dans la stricte limite de l’exercice de ses compétences décisionnelles. Et encore faut-il qu’il dispose d’une faculté d’appréciation et ne soit pas en compétence liée.
Il n’est pas douteux que la possibilité offerte de déroger aux normes réglementant les autorisations d’activités de soins, ou d’activités médico-sociales, ou encore la création d’établissements puisse susciter des envies. Nous verrons que le respect, dans l’exercice du droit de dérogation, du principe d’égalité sera fondamental. Il est à noter que ne sont pas citées les autorisations d’installation d’équipements lourds exclues du champ de la dérogation.
En tout état de cause, dans un contexte de concurrence aigue entre opérateurs, il conviendra d’attacher un soin particulier à la stricte régularité de la décision qui portera dérogation et qui par nature accordera au bénéficiaire un traitement se distinguant du droit commun. Et en premier lieu devra être vérifiée sa conformité aux quatre conditions cumulatives définies par l’article 1435-41 du code de la santé publique.
L’exercice du droit soumis à quatre conditions cumulatives
- « La dérogation doit répondre aux conditions suivantes :
- 1° Être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ;
- 2° Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques et notamment aux financements accordés par l’agence régionale de santé ;
- 3° Être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- 4° Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou de la sécurité des personnes et des biens, à la qualité et à la sécurité des prises en charge, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé. »
Ces quatre conditions sont identiques à celles qui prévalent pour le droit de dérogation des préfets sauf la « qualité et la sécurité des prises en charge » qui est propre aux ARS, et sur laquelle nous reviendrons. Etant cumulatives, le directeur général de l’ARS devra s’assurer que pour chaque décision dérogatoire elles soient toutes bien remplies.
Nous commencerons par la seconde condition qui pourrait réduire sensiblement le terrain de jeu : la dérogation doit avoir « pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques et notamment aux financements accordés par l’agence régionale de santé »
La condition tenant à l’objectif poursuivi
Il n’est pas sans intérêt de se reporter à l’analyse présentée sur ce point par M. le rapporteur public auprès du Conseil d’Etat, M. Louis Dutheillet de Lamothe, dans ses conclusions (citées supra), même si le contentieux intéressait la phase expérimentale du droit de dérogation accordé au préfet :
« Le mot « effet » marque bien qu’on ne sait pas exactement quel est l’objet de la norme à laquelle on pourra déroger (alléger une démarche administrative n’est pas en soi un objet de norme), mais qu’on sait quel est l’effet, l’objectif recherché. Ce mot effet ne doit en revanche pas être interprété comme permettant de déroger à des normes dont l’objet n’est pas directement en relation avec ces objectifs, c’est-à-dire, d’une part, les conditions d’attribution des aides publiques et, d’autre part, les règles de forme et procédure. Ce point est fondamental, car on peut toujours dire que déroger ou exempter d’une règle de fond est un allègement des démarches administratives puisqu’on n’a plus à respecter la règle… Si vous avez cette interprétation large du décret, alors il permet au préfet de déroger à tous les règlements dans quasiment toutes les matières liées à la réalisation d’un projet : l’encadrement par les autres conditions serait alors très probablement insuffisant. Mais il nous semble que ce n’est pas le cas. Si on interprète strictement la condition fixée au 2° de l’article 3, l’objectif de favoriser les aides publiques ne permet que de déroger à des règles qui fixe des contraintes pour ces aides publiques, ce qui est ciblé et précis ; l’objectif d’alléger les démarches administratives permet seulement de supprimer ou de simplifier des règles procédurales ou formelles prévues uniquement au niveau réglementaire : le champ matériel est très large, mais il s’agit d’une catégorie de règles précisément identifiées et qui, par définition, ne pose pas de contraintes de fond. »
La Haute Juridiction a suivi les conclusions sur ce point en décidant : « Si, ainsi que le souligne la requérante , le décret attaqué [décret n°2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet] ne désigne pas précisément les normes réglementaires auxquelles il permet de déroger, il limite ces dérogations, d’une part, aux règles qui régissent l’octroi des aides publiques afin d’en faciliter l’accès, d’autre part, aux seules règles de forme et de procédure applicables dans les matières énumérées afin d’alléger les démarches administratives et d’accélérer les procédures » (CE 17 juin 2019, n°421871).
La circulaire du premier ministre du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d’un droit de dérogation aux normes réglementaires ( ci-après la « Circulaire consacrée au droit de dérogation du préfet ») s’approprie l’interprétation du Conseil d’Etat :
« Si le décret ne désigne pas précisément les normes réglementaires auxquelles il permet de déroger, il limite ces dérogations, d’une part, aux règles qui régissent l’octroi des aides publiques afin d’en faciliter l’accès, d’autre part, aux seules règles de forme et de procédure applicables dans les matières énumérées afin d’alléger les démarches administratives et d’accélérer les procédures » comme l’a jugé le Conseil d’État (17 juin 2019 « Les Amis de la Terre France », n° 421871). »
L’Instruction consacrée au droit de dérogation du directeur général d’ARS adopte en apparence une posture beaucoup plus libérale s’agissant du droit de dérogation accordé au directeur général d’ARS :
« (…) le décret ne désigne pas précisément les normes réglementaires auxquelles il permet de déroger mais il limite les finalités des dérogations aux cas où elles permettent soit d’alléger les démarches administratives, soit de réduire les délais des procédures, soit de favoriser l’accès aux aides financières. »
Est privilégiée une interprétation à la lettre qui autorise les dérogations portant sur des règles de fond si elles ont pour effet d’alléger les procédures ou réduire les délais ; ce qui serait par exemple le cas dans l’hypothèse d’un ajustement ou d’une mise à l’écart d’une prescription de fond notamment du droit des autorisations.
Il sera relevé que le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 mars 2022, saisi d’un moyen tiré de la violation du principe d’égalité de la loi du fait de l’exercice du droit de dérogation pérennisé au bénéfice des préfets par le décret n°2020-412 du 8 avril 2020, se contente d’exposer : « (…) le décret attaqué [2020-412] ne peut conduire les préfets à décider de dérogations qu’afin d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ».
Pour sécuriser le dispositif, il conviendrait de déterminer clairement si les règles « dérogeables » sont celles qui régissent l’octroi des aides publiques et les seules règles de forme et de procédure relevant des sept domaines de dérogation ou bien s’il s’agit de toutes les règles, y compris de fond, dès lors qu’elles ont pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques et notamment aux financements accordés par l’agence régionale de santé et qu’elles obéissent aux autres conditions et au périmètre retenu.
La double condition tenant à l’intérêt général et aux circonstances locales
La dérogation devra être justifiée par un motif d’intérêt général et non motivée par la satisfaction d’un intérêt privé. Était-il nécessaire de le préciser, l’intérêt général étant au cœur de l’action publique ? Ceci étant, l’intérêt général sera apprécié le plus souvent en regard du projet mené par le bénéficiaire. Et, comme le souligne l’Instruction, devra nécessairement satisfaire un ou plusieurs objectifs de service public des ARS : santé publique, accès aux soins, qualité des soins, sécurité sanitaire.
Quant à la démonstration de l’existence de circonstances locales c’est « une condition essentielle du droit de dérogation des directeurs généraux des ARS : c’est la finalité même de ce droit nouveau, qui vise à répondre à des besoins locaux particuliers, dont l’intérêt général est communément admis (amélioration de l’accès aux soins par exemple), mais auquel la réglementation générale répond mal » (Instruction consacrée au droit de dérogation du directeur général d’ARS).
Il est à cet égard admis que les circonstances locales peuvent être permanentes ou ponctuelles.
Dans son communiqué de presse du 12 avril 2023, le ministre de la santé insiste sur les enjeux territoriaux à la réponse desquels le droit de dérogation est censé contribuer :
« Dans leur travail quotidien avec les élus, les professionnels de santé, les associations d’usagers, les ARS construisent les politiques de santé afin d’améliorer la santé des populations et de s’adapter au plus près aux besoins des territoires. Ce travail de proximité est au cœur des réponses à apporter à nos concitoyens pour lutter contre toutes les inégalités de santé, territoriales ou sociales.
Dans certaines situations, la réglementation nationale ne permet pas aux ARS d’accompagner des projets avec autant de souplesse que des circonstances locales particulières le demanderaient, car la même réglementation s’impose à tous, sur l’ensemble du territoire national. Or, une partie des solutions face aux défis qui sont les nôtres en matière de santé repose sur notre capacité à adapter nos outils aux circonstances locales, aux besoins des populations, aux partenaires locaux avec lesquels les ARS travaillent. Il nous faut donc continuer de permettre aux acteurs de terrain d’inventer ensemble les solutions avec les ARS.
C’est pourquoi le droit de dérogation donnera désormais aux directeurs généraux des ARS des marges de manœuvre nouvelles pour mieux répondre aux besoins locaux particuliers. C’est une évolution forte qui s’inscrit pleinement dans la dynamique du Conseil national de la refondation (CNR) et donne ainsi un élan nouveau aux dynamiques et synergies territoriales. »
Encore faudra-t-il qu’une écoute attentive soit réservée aux acteurs locaux…
Conditions liées au respect des principes généraux du droit et des normes supérieures
Les troisième et quatrième conditions exigent d’une part, la compatibilité de la dérogation avec les engagements européens et internationaux de la France et d’autre part, qu’il ne soit pas porté atteinte aux intérêts de la défense ou de la sécurité des personnes et des biens, à la qualité et à la sécurité des prises en charge, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
Ces conditions appellent quelques observations :
- Les engagements européens et internationaux vont intéresser principalement les directives et règlements de l’Union européenne (en particulier en matière de sécurité sanitaire et de produits de santé). La dérogation ne pourra avoir pour effet de contredire la règle européenne. Une vigilance particulière devra être réservée à l’examen de cette condition si la norme à laquelle il est dérogé est prise en application d’une directive ou d’un règlement européen.
- S’agissant de l’absence d’atteinte aux intérêts de la défense ou de la sécurité des personnes et des biens, à la qualité et à la sécurité des prises en charge, c’est « la portée de la dérogation qui est ici visée et non la matière : il peut en effet, par exemple, être envisagé qu’une dérogation concerne le champ de la sécurité sanitaire, qui est vaste ; cela est possible à condition de veiller à ce que la décision dérogatoire ne porte pas atteinte à la sécurité des personnes » (’Instruction consacrée au droit de dérogation du directeur général d’ARS).
Pour autant, c’est en raison d’une appréciation déficiente des risques encourus que le directeur général pourrait engager sa responsabilité personnelle, donc pénale. L’analyse d’impact de chaque dérogation intéressant la sécurité sanitaire devra être particulièrement étayée.
- L’article 1435-41 du code de la santé publique impose au directeur général de l’ARS de ne pas porter une atteinte disproportionnée aux objectifs de la norme, objet de la dérogation. Là encore une analyse juridique approfondie s’impose. Le Rapport d’évaluation invite le Préfet, à cet égard, « à s’interroger au cas par cas sur la raison d’être des prescriptions auxquelles il va déroger, au regard de la finalité du dispositif réglementaire dans son ensemble. La dérogation, simple ajustement de la norme, ne doit pas en dénaturer la finalité même.»
Il est conseillé aux préfets comme aux directeurs généraux, en cas d’interrogation quant à la légalité de leur décision, d’établir un bilan coût/avantage de la mesure de dérogation, de réaliser une estimation des risques juridiques et d’évaluer ses conséquences en termes de cohérence de l’action publique locale.
Condition liée à l’égalité de traitement
Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 mars 2022 a apporté un éclairage extrêmement pertinent sur les conditions s’imposant à l’autorité exerçant son droit de dérogation pour s’assurer du respect du principe d’égalité devant la loi :
« (…) De telles dérogations (…) ne peuvent, enfin, être accordées que si et dans la mesure où des circonstances locales justifient qu’il soit dérogé aux normes applicables, sans permettre aux préfets, dans le ressort territorial de leur action, de traiter différemment des situations locales analogues. Dans ces conditions, eu égard au champ du décret attaqué et à ses conditions de mise en œuvre, dont le respect est placé sous le contrôle du juge administratif, la possibilité reconnue aux préfets, à raison de circonstances locales, de déroger à des normes établies par l’administration, laquelle ne devrait pas conduire à des différences de traitement injustifiées, n’est pas contraire au principe d’égalité.»
Aussi et comme le rappelle l’Instruction consacrée au droit de dérogation du directeur général d’ARS « (…) à l’échelle de la région sur laquelle le directeur général de l’ARS est compétent, des situations similaires doivent être traitées de manière similaire. »
Le Rapport d’évaluation complète utilement : « (…) le Conseil d’Etat impose aux préfets d’être particulièrement attentifs à la portée de leurs décisions individuelles de dérogation au regard du principe d’égalité de traitement dont devrait bénéficier toute personne, entreprise, ou collectivité répondant aux mêmes critères d’éligibilité.
Il leur revient donc d’examiner, au-delà du dossier particulier qui leur est soumis à l’instant « T », si la dérogation envisagée n’aurait pas vocation à être étendue, le cas échéant d’initiative, aux autres situations similaires dont ils auraient connaissance ou même qui se présenteraient à eux ultérieurement.
Dans ce cas en effet, au vu du précédent, l’abstention d’une nouvelle décision dérogatoire, à situation comparable, pourrait être utilement contestée au contentieux, pour méconnaissance du principe d’égalité. »
Il n’est pas contestable qu’une attention particulière devra être réservée à cette contrainte par les directeurs généraux d’ARS surtout si les dérogations intéressent des matières comme le droit des autorisations ou les financements publics dans un contexte de forte concurrence.
Nous parvenons à l’ultime question, quelle est la nature et la portée des décisions de dérogation qui, demain pourraient nourrir la jurisprudence administrative ?
Nature et portée juridiques des dérogations
Le droit de dérogation n’emporte en aucune manière l’édiction d’une nouvelle norme à portée générale qui viendrait se substituer à la norme à laquelle il est décidé de déroger. Le directeur général de l’ARS ne bénéficie en effet pas d’une délégation de pouvoir lui permettant d’adapter ou de simplifier à l’échelle de sa région des textes réglementaire. Lui est seulement donné la possibilité, à l’occasion de l’instruction d’une demande individuelle, d’un cas d’espèce, de ne pas appliquer ou d’ajuster une disposition réglementaire.
La nature et les effets attendus de l’exercice du droit de dérogation est résumé en ces termes par la Circulaire consacrée au droit de dérogation du préfet : « Ainsi, si ce droit de dérogation vise d’abord, en permettant la réalisation d’un projet ou la satisfaction d’une demande, à corriger, sans inflation normative, les effets de bords négatifs et marginaux d’une réglementation donnée, laquelle demeure, par ailleurs, pertinente tant dans ses objectifs que dans sa rédaction, il peut aussi, sous votre égide, servir de révélateur au caractère inadapté d’une réglementation donnée ou d’un aspect de celle-ci et permettre ainsi son évolution. »
Et la faculté de déroger à une norme réglementaire relève, en tout état de cause, du pouvoir discrétionnaire du directeur général de l’ARS qui en saisira l’opportunité en regard des besoins et particularités locales.
Il faudra veiller à ce que la dérogation ne devienne la règle, mais demeure l’exception sauf à remettre en cause l’égalité républicaine. Aussi faut-il espérer que le suivi du dispositif conduira l’administration centrale à modifier les normes qui apparaîtraient manifestement inadaptées aux besoins des territoires. Tout observateur serait en droit d’ajouter que limiter le niveau de précision et de détails de certains textes pour laisser une part d’initiative dans leur application aux professionnels intéressés pourrait être une voie alternative pour « ajuster la norme à l’intérêt général pensée sur le terrain » (Discours du Président de la République aux préfets 5 septembre 2017)
Le droit de dérogation ne doit pas constituer un pis-aller pour tenter de pallier les insuffisances de l’Etat, au risque d’accroitre les inégalités entre les régions, de favoriser la satisfaction d’intérêts particuliers qui s’abriteront derrière des « circonstances locales ». Tout élément propre à alimenter les contentieux en mettant en première ligne le directeur général de l’ARS.
L’ACTU BRÛLANTE
Depuis la loi de transformation de la fonction publique de 2019, les réformes visant à améliorer et promouvoir un renouveau du dialogue social dans la fonction publique, dont la fonction publique hospitalière, sont succédées.
L’installation du Comité social d’établissement est la dernière réforme en date. Les établissements socio, médico-sociaux et sanitaires ont installé le CSE en début d’année 2023. Les directions et les organisations syndicales ont aujourd’hui à leur disposition des outils juridiques leur permettant de s’inscrire dans un dialogue social effectif. Ce faisant, nombres de directions demeurent dubitatives quant à ce renouveau du dialogue social attendu et souhaité. Qu’en est-il en cette fin d’année 2023 et quelles sont les actions à mener pour y parvenir ?
S’interroger sur l’état du dialogue social au sein des établissements publics de santé en cette fin d’année 2023, c’est d’abord s’interroger sur la notion même de dialogue social; comment se définit le dialogue social ?
Qu’est ce que le dialogue social?
Ni le code du travail ni le code général de la fonction publique ne donnent une quelconque définition du dialogue social.
L’Organisation Internationale du Travail (OIP) donne la définition suivante ; « ce sont tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre ou parmi les représentants du gouvernement, les employeurs et les travailleurs sur des questions d’intérêt commun ayant trait à la politique économique et sociale. »
L’OIT poursuit en précisant que le dialogue social inclut ;
- La négociation, la consultation et l’échange d’informations entre et parmi les différents acteurs° ;
- La négociation collective entre les représentants d’employeurs et de travailleurs ;
- La prévention et la résolution des différends ;
- Le dialogue social tripartite sur des sujets de dialogue économique social ;
- D’autres instruments du dialogue social, notamment les accords-cadres internationaux.
Toujours selon l’OIT, le dialogue social ne peut fonctionner efficacement que si « certains préalables » sont satisfaits, à savoir° :
- Des organisations de travailleurs et d’employeurs indépendantes et robustes dotées des capacités techniques nécessaires et ayant accès aux informations ;
- La volonté et l’engagement politique de participer au dialogue social de la part de tous les intervenants ;
- Le respect des droits fondamentaux de liberté d’association et de négociation collective ;
- Un cadre juridique et institutionnel favorable.
Qu’en est-il du dialogue social à l’hôpital public en cette fin d’année 2023 ?
Force est de constater que la plupart des « préalables » à un dialogue social efficient et efficace posés par l’OIT sont bien présents.
La liberté syndicale est parfaitement effective, elle est par ailleurs garantie par la constitution comme par le statut. Les droits fondamentaux, au sens posé par l’OIT, sont tout autant présents dans le statut et garantis, notamment, par le contrôle du juge administratif sur les décisions de l’administration.
Objectivement, le cadre juridique et institutionnel est, aujourd’hui, favorable.
En effet, les réformes successives engagées par les pouvoirs publics depuis la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique tend à favoriser l’essor d’un véritable dialogue social au sein des trois fonctions publiques dont la fonction publique hospitalière.
On peut ici citer l’introduction des lignes directrices de gestion, la fusion du CHSCT et du CTE donnant lieu à la création du comité social d’établissement (CSE), la possibilité de conclure un accord collectif pouvant porter sur 14 items distincts visant à favoriser la négociation collective entre les directions des établissements et les organisations syndicales représentatives.
Incontestablement, les outils juridiques à la disposition des directions des établissements comme à la disposition des organisations syndicales évoluent donc sensiblement et dans le bon sens.
Ce faisant, de nombreuses directions demeurent dubitatifs quant à l’impact de ces réformes sur la qualité du dialogue social à l’hôpital.
Par ailleurs, la situation très dégradée des établissements publics de santé comme celle des établissements socio et médico-sociaux sur le terrain des ressources humaines (pénurie de main d’œuvre, difficultés budgétaires, problématiques d’attractivités) ne favorise pas réellement un renouveau du dialogue social.
Est-ce à dire que cet « hôpital en crise » ferait obstacle à la refondation du dialogue social dans la fonction publique hospitalière ?
La réponse nous semble devoir ici être nuancée. Il est incontestable que le sous-effectif du personnel médical comme la question des salaires sont deux difficultés majeures qui contribuent à générer de fortes tensions entre les organisations syndicales et les directions des établissements.
Ce faisant, outre que les directions des établissements ne fixent pas la rémunération des agents publics comme elles ne sont pas responsables de la pénurie du personnel médical, c’est justement en de telles périodes de crise que le dialogue social prend tout son sens et c’est justement en période de crise que l’on peut bâtir un renouveau du dialogue social.
Pour ce faire, encore faut-il se parler et se comprendre. Le dialogue social est un langage qui doit être compréhensible par chacun des acteurs parties à la discussion.
Il apparait donc nécessaire, avant tout recours à tel ou tel outil juridique, de se mettre d’accord sur la notion même de dialogue social et ce que chacun en attend.
L’organisation syndicale doit accepter le fait que le dialogue social ne se confond pas avec la satisfaction d’une revendication professionnelle. Le refus de l’employeur de faire droit à une demande de l’organisation syndicale ne le place pas de facto en dehors du dialogue social.
Tout autant, faire preuve de transparence sur la conduite des projets de l’établissement et partager l’information utile avec l’organisation syndicale ne doit pas conduire la direction de l’établissement à considérer qu’elle se placerait ici dans une logique de cogestion de l’établissement.
Si « les préalables » visés par l’OIT cités plus haut sont indispensables, un dialogue social efficient ne peut véritablement voir le jour que si et seulement si les acteurs de ce dialogue social renoncent à tout idée de posture et comprennent mutuellement la ou les contraintes de l’autre.
Ce dernier point est particulièrement important.
Concrètement, cela conduit à remettre en question certains postulats ou convictions solidement ancrées tant au sein des organisations syndicales qu’au sein des directions des établissements.
C’est très certainement ici l’étape la plus difficile et il se trouve que c’est la première étape à franchir. Pour renvoyer à une image illustrant notre propos, les directeurs et les représentants syndicaux doivent d’abord franchir le col du Zoncolan avant de profiter de l’étape en plaine.
C’est ici la culture de la négociation collective qu’il faut développer et pas uniquement côté organisation syndicale.
C’est à la direction de l’établissement de prendre l’initiative d’un renouveau du dialogue social
Attendre que les organisations syndicales prennent une quelconque initiative pour renouveler en profondeur le dialogue social est une illusion et ce pour de multiples raisons qu’il serait trop long ici d’expliciter.
C’est donc à la direction de l’établissement de prendre les initiatives utiles à ce renouveau du dialogue social. C’est ici sa responsabilité, à charge pour les organisations syndicales de s’engager dans une démarche conjointe.
Cela demande un effort certain pour tous les acteurs concernés.
Quelles initiatives la direction peut-elle prendre pour s’engager dans cette quête d’un renouveau du dialogue social ?
La volonté d’une direction de s’engager dans la recherche d’un renouveau du dialogue social ne peut se faire qu’au travers une vision stratégique et globale. Il faut ici distinguer le dialogue social institutionnel du dialogue social de proximité.
Le dialogue social institutionnel est celui qui s’opère au travers les outils juridiques et institutionnels à la disposition tant des directions que des organisations syndicales ; principalement, les lignes directrices de gestion, le CSE et les accords collectifs.
Pour débuter dans cette recherche d’un renouveau du dialogue social institutionnel, les directions des établissements peuvent utilement s’approprier l’obligation prescrite à l’article 35 du décret n°2021-1570 du 3 décembre 2021 qui prescrit d’instaurer un débat chaque année en séance du CSE sur les travaux de l’instance.
Deux visions s’opposent sur cette obligation règlementaire, la première est celle d’un débat sur le fonctionnement du CSE, le nombre de séances, son fonctionnement, etc… La deuxième est celle d’une logique programmatique. C’est cette dernière qu’il faut privilégier.
Le débat qui doit s’instaurer en début d’année civile à l’initiative du directeur a pour finalité de conduire l’employeur à présenter au CSE ses dossiers prioritaires pour l’année à venir. C’est l’amorce d’une plus grande transparence de sa part laquelle ne le dispensera d’ailleurs nullement de procéder aux informations et consultations dudit CSE pour les projets dit « importants ».
C’est également l’occasion d’engager un débat sur une action de prévention à porter collectivement, direction et syndicats, durant l’année entière (exemple de la prévention des actions ou agissements de harcèlement moral comme sexuel).
Le dialogue social de proximité est le dialogue social à l’échelle du service.
C’est ici la question des actions que les représentants syndicaux peuvent mener au quotidien dans les services de l’établissement. C’est donc poser ici la question de la place du cadre et de sa formation au droit syndical.
Le décret n°86-660 du 19 mars 1986 relatif à l’exercice du droit syndical dans les établissements visés à l’article 2 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 encadre l’affichage comme la distribution de la propagande syndicale ou encore la tenues des réunions d’information syndicale.
Il est cependant incomplet et imprécis. Il faut donc soit négocier un protocole syndical avec les organisations syndicales représentatives dans l’établissement soit édicter une note de service rappelant les droits et obligations des représentants syndicaux dans la mise en œuvre de leurs prérogatives.
Ce point est déterminant. Il faut impérativement fixer un cadre précis, avec des règles clairement identifiées et communément admises. La finalité ici est de clarifier les limites à ne pas franchir afin de sortir de la multiplication de ce que nous qualifierons de « débordements syndicaux » (envahissement de bureau, perturbation de réunion de service, etc…) tout en rappelant clairement que les organisations syndicales ont un rôle à jouer et que leurs représentants doivent avoir toute leur place.
La direction doit ensuite nécessairement associer les cadres et cadres supérieurs de santé à la mise en œuvre de ce protocole syndical ou de cette note de service. Parallèlement, il faut ici engager des actions de formation au bénéfice des cadres et cadres supérieurs sur différents sujets tel que la traçabilité d’un fait dans le service, le droit syndical, la notion d’insuffisance professionnelle, l’objectivation du lien professionnel et le harcèlement moral. C’est justement en période de crise qu’il faut prendre soins des équipes et leur démontrer que la direction leur consacre du temps.
Enfin, dans le cadre de ces formations, il faut sensibiliser les cadres et cadres supérieurs de santé à la nécessité de laisser une place au représentant syndical dans le quotidien des équipes sans pour autant que cela ne s’analyse comme une forme de cogestion et sans que cela ne conduise les cadres et cadres supérieurs de santé à devoir renoncer à leurs obligations professionnelles et ou statutaires.
Le renouveau du dialogue social ne découlera pas de la seule publication de telle loi ou tel décret. Il faut ici engager une véritable révolution copernicienne, un changement de paradigme. Cela ne peut fonctionner que si et seulement si ce changement s’opère des deux côtés de la table de négociation et ce changement ne pourra intervenir que si ce sont les directions qui décident de se lancer les premiers dans cette aventure.
POUR ALLER PLUS LOIN
À LA BARRE DU TRIBUNAL
Projet régional de santé et sécurité juridique : de la géométrie variable des illégalités
Dans une décision récente du 20 juillet 2023 (CE. 20/07/2023, n°467648) le Conseil d’Etat, apporte un éclairage intéressant sur les moyens pouvant être invoqués pour contester la légalité d’un projet régional devant la juridiction administrative.
Alors que les schémas régionaux de santé de troisième génération sont soumis à la consultation, avant leur publication prévue au plus tard le 1er novembre prochain, la question de leur sécurisation juridique et des éventuels recours dont ils pourraient faire l’objet est plus que jamais d’actualité.
L’enjeu est de taille car si le la possibilité d’invoquer par voie d’exception l’illégalité du PRS, ou de l’une de ses composantes pour un vice de forme ou de procédure, est restreinte par le législateur à un délai de six mois suivant la date de prise d’effet du document concerné (article L 1434-5 du CSP), la légalité interne du PRS et des autres documents de planification sanitaire peut quant à elle être soulevée par voie d’exception sans limite de délai.
Statuant sur le pourvoi formé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse du 19 juillet 2022 (CAA Toulouse 19/07/2022, n°20TL21835) que nous avions commenté dans un précédent article, le Conseil d’Etat vient restreindre le champ des possibles pour les candidats aux recours en annulation des prochains schémas régionaux de santé.
Selon la Haute-Juridiction, l’insuffisance du diagnostic initial des besoins de santé, sur la base duquel le SRS est élaboré, ne peut résulter de la seule circonstance que les éléments de ce diagnostic ne figurent pas dans le schéma régional de santé (1). En outre, l’illégalité de l’arrêté fixant les zones de répartition des activités de soins et des équipements matériels lourds ne peut utilement être invoquée par voie d’exception à l’appui d’un recours en annulation du SRS (2).
Pour résumer à grands traits l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, une clinique installée à Muret avait saisi le tribunal administratif de Toulouse d’un recours visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêté portant adoption du schéma régional de santé d’Occitanie, en tant qu’il détermine les objectifs quantitatifs de l’offre de soins des activités de interventionnelles sous imagerie médicale en cardiologie de type 3 (angioplastie coronaire) pour la Haute-Garonne.
A l’appui de son recours, la clinique requérante soulevait divers moyens, parmi lesquels l’insuffisance du diagnostic initial des besoins de santé, sur la base duquel le PRS doit être élaboré, ainsi que la non-conformité de l’arrêté délimitant les zones donnant lieu à la répartition des activités de soins et des équipements matériels lourds.
Les juges de première instance firent droit au recours, mais leur jugement fut annulé par la cour administrative d’appel de Toulouse qui rejeta les demandes de première instance conformément aux conclusions prononcées à l’audience par la rapporteure publique ; à la grande surprise des conseils de deux parties car le sens des conclusions porté à leur connaissance avant l’audience mentionnait, au contraire, un rejet de l’appel interjeté par l’ARS. Ce revirement est censuré par le Conseil d’Etat qui annule la décision d’appel, estimant que les parties n’ont pas été en mesure de connaître la position du rapporteur public avant l’audience, comme le prescrit l’article R 711-3 du code de justice administrative.
Qu’importe, le Conseil d’Etat décide de régler l’affaire au fond et confirme finalement la décision des juges d’appel, notamment sur deux points qui retiennent plus particulièrement l’intérêt.
Le contenu du diagnostic initial des besoins de santé
L’article L 1434-2 du code la santé publique prévoit que le schéma régional de santé est établi pour cinq ans « sur la base d’une évaluation des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux ».
S’agissant des modalités suivant lesquelles cette évaluation doit être réalisée, l’article R 1434-4 du code de la santé publique précise que :
« Le schéma régional de santé est élaboré par l’agence régionale de santé sur le fondement d’une évaluation des besoins. A cette fin, elle effectue un diagnostic comportant une dimension prospective des besoins de santé, sociaux et médico-sociaux et des réponses existantes à ces besoins, y compris celles mises en œuvre dans le cadre d’autres politiques publiques.
Le diagnostic porte également sur la continuité des parcours de santé, l’identification d’éventuels points de rupture au sein de ces parcours et les difficultés de coordination entre professionnels, établissements ou services.
Le diagnostic tient compte notamment :
1° De la situation démographique et épidémiologique ainsi que de ses perspectives d’évolution ;
2° Des déterminants de santé et des risques sanitaires ;
3° Des inégalités sociales et territoriales de santé ;
4° De la démographie des professionnels de santé et de sa projection ;
5° Des évaluations des projets régionaux de santé antérieurs ;
6° Le cas échéant, des besoins spécifiques de la défense, des contributions, moyens et interventions du service de santé des armées mentionnés au IV de l’article L. 1434-3 ».
Prenant le contrepied des premiers juges qui avaient estimé que les objectifs quantitatifs de l’offre de soins fixés en Haute-Garonne ne s’appuyaient pas sur un diagnostic réalisé « en conformité » avec les dispositions de l’article R 1434-4 du code de la santé publique, la Cour administrative d’appel de Toulouse avait jugé au contraire que les dispositions de l’article R 1434-4 du code de la santé publique « n’exigent pas (…) que l’ensemble des éléments du diagnostic soit inclus dans le schéma, ni que chaque élément soit identifié dans tous les domaines ». S’appuyant sur les pièces du dossier, la Cour avait considéré « que le diagnostic réalisé par l’agence régionale de santé, à partir duquel les besoins de santé (…) ont été évalués, a été réalisé conformément aux dispositions de l’article R 1434-4 du code de la santé publique ».
Le Conseil d’Etat reprend à son compte le raisonnement des juges d’appel en considérant que : « s’il résulte [des dispositions de l’article R 1434-4 du CSP] que le schéma régional de santé doit être élaboré sur le fondement d’une évaluation des besoins de santé sociaux et médico-sociaux reposant elle-même sur un diagnostic tenant compte notamment des éléments qu’elles mentionnent, il n’en résulte pas en revanche que les éléments de ce diagnostic devraient nécessairement figurer dans le schéma régional de santé ».
A l’instar de la Cour administrative d’appel de Toulouse, le Conseil d’Etat s’est livré à une appréciation in concreto des pièces du dossier pour juger qu’au vu notamment du « diagnostic prospectif des besoins et des réponses » figurant dans le schéma régional de santé, du tableau de bord sur la santé en Occitanie et des éléments de diagnostic exposés dans le cadre du groupe de travail sur la cardiologie interventionnelle, « la société requérante n’est pas fondée à soutenir que, pour déterminer l’offre de soins pour les activités considérées, l’agence régionale de santé n’aurait pas procédé à une évaluation des besoins sanitaires reposant sur un diagnostic tenant compte des éléments prévus à l’article R 1434-4 du code de la santé publique, la circonstance qu’il ne figure pas dans son intégralité dans le schéma régional de santé étant à ce égard sans incidence ».
Les enseignements pouvant être tirés de cette décision sont de trois ordres.
Premièrement, l’évaluation des besoins sanitaires et le diagnostic sur la base duquel celle-ci est réalisée ne font pas partie intégrante du schéma régional de santé ; ils n’en sont que des documents préparatoires. Sur ce point, l’analyse du Conseil d’Etat est parfaitement conforme à la lettre des textes. L’article R 1434-4 du code de la santé publique dispose en effet que le schéma régional de santé est élaboré « sur le fondement d’une évaluation des besoins », et l’article R 1434-5 précise quant à lui que le SRS est élaboré « au terme » du diagnostic, ce qui signifie que le diagnostic précède le schéma et n’en fait pas partie intégrante.
Deuxièmement, les autres documents préparatoires servant de base à l’élaboration du schéma régional de santé peuvent pris en considération par le juge lorsqu’il s’agit de déterminer si l’ARS a réalisé le diagnostic dans le respect de l’article R 1434-4. Certes, la préparation du PRS obéit à un minimum de formalisme, mais celui-ci ne doit pas conduire à une « bureaucratisation » excessive, où tout document qui non prévu par le code de la santé publique ne pourrait pas être pris en compte par l’autorité sanitaire, sous peine d’entacher sa décision d’illégalité.
Par conséquent, les ARS ont tout intérêt à se montrer attentives à la qualité des documents qu’elles produisent dans le cadre des travaux d’élaboration du SRS et veiller à bien les conserver pendant toute la durée de validité du schéma. Car il est possible que des mois, voire des années plus tard, ces documents soient utiles à la défense d’une exception d’illégalité du SRS soulevée à l’occasion d’un recours contre une décision d’autorisation sanitaire.
Selon le Conseil d’Etat, le législateur a entendu permettre que la légalité du schéma régional de santé, en sa partie relative à l’offre de soins et notamment en ce qui concerne les objectifs quantifiés de l’offre de soins puisse être contestée par voie d’exception, dans la limite prévue à l’article L 1434-5 du code de la santé publique, ce qui implique que les autorisations sanitaires « qui font application du schéma régional de l’offre de soins, en sa partie relatives aux objectifs de l’offre de soins, et notamment de ses objectifs quantifié, peuvent utilement être contestées par des moyens tirés, par voie d’exception de leur illégalité » (CE. 19 mai 2021, n°433523, mentionné aux tables du recueil Lebon).
Troisièmement, l’évaluation des besoins de santé doit, d’après les mots du Conseil d’Etat, reposer sur un diagnostic « tenant compte des éléments prévus à l’article R 1434-4 du code de la santé publique »,. Cette formulation, là aussi conforme aux termes de l’article R 1434-4, peut être interprétée comme signifiant qu’il n’est pas nécessaire que le diagnostic contienne l’ensemble des éléments énoncés à l’article R 1434-4. C’est du reste ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel de Toulouse.
Cette interprétation nous semble être la plus opérante, car elle évite aux ARS de devoir s’astreindre à un formalisme aussi excessif qu’inutile, voire même contre-productif.
Si le diagnostic des besoins de santé, préparatoire à l’élaboration du SRS, devait intégrer pour chaque activité de soins soumise à la planification tous les éléments énoncés à l’article R 1434-4 du CSP, l’on aboutirait à un document extrêmement détaillé, difficile à exploiter pour le planificateur et quelque peu antinomique avec l’effort de synthèse auquel doivent désormais s’astreindre les ARS lors de la rédaction de leurs PRS. Mais surtout, quelle serait la pertinence d’un diagnostic « en tuyaux d’orgue » lorsque l’on sait que le schéma régional de santé doit justement permettre une appréhension à la fois globale transversale des besoins de santé et des réponses à y apporter ?
La délimitation des zones de répartition des activités de soins et d’équipements matériels lourds
Le second apport de la décision est relatif aux exceptions d’illégalité susceptibles d’être soulevées à l’encontre du schéma régional de santé.
En première instance comme en appel, la clinique avait soulevé une exception d’illégalité portant sur la délimitation par l’ARS des zones donnant lieu à la répartition des activités de soins et des équipements matériels lourds, prévues à l’article L 1434-9 du code de la santé publique. La clinique soutenait que l’ARS avait commis une erreur de droit en faisant coïncider les limites des zones avec celles des 13 départements occitans, sans prendre en compte les critères définis à l’article R 1434-30 du code de la santé publique.
Selon l’article R 1434-30 du CSP :
« La délimitation de ces zones prend en compte, pour chaque activité de soins et équipement matériel lourd :
1° Les besoins de la population ;
2° L’offre existante et ses adaptations nécessaires ainsi que les évolutions techniques et scientifiques ;
3° La démographie des professionnels de santé et leur répartition ;
4° La cohérence entre les différentes activités de soins et équipements matériels lourds soumis à autorisation ;
5° Les coopérations entre acteurs de santé
La délimitation des zones concourt à garantir pour chaque activité de soins et équipement matériel lourd la gradation des soins organisée pour ces activités, la continuité des prises en charge et la fluidification des parcours, l’accessibilité aux soins, notamment aux plans géographique et financier, la qualité et la sécurité des prises en charge et l’efficience de l’offre de soins.»
Le moyen n’était pas dénué de pertinence, car les motifs invoqués par l’ARS dans son arrêté de zonage ne correspondaient pas aux critères énoncés ci-dessus.
Pour autant, la cour administrative d’appel de Toulouse avait estimé que l’ARS n’avait pas méconnu « les modalités de délimitation des zones définies par les dispositions de l’article R 1434-30 du code de la santé publique », privilégiant aux motifs exposés par l’ARS dans l’arrêté de zonage, une analyse circonstanciée des éléments du dossier d’appel pour estimer que le cadre départemental concourait bien aux finalités du zonage définies par ce texte.
L’approche du Conseil d’Etat est plus radicale puisqu’il estime purement et simplement que ce moyen d’illégalité ne peut utilement être invoqué.
Selon les magistrats du Palais Royal : « l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut utilement être invoquée à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application où s’il en constitue la base légale. L’arrêté attaqué adoptant le schéma régional de santé n’ayant pas été pris pour l’application de l’arrêté de la directrice générale de l’agence régionale de santé d’Occitanie du 12 janvier 2018 portant adoption des zones du schéma régional de santé relatives aux activités de soins, aux équipements matériels lourds et aux laboratoires de biologie médicale, lequel n’en constitue pas davantage la base légale la société requérante ne peut utilement exciper de l’illégalité de l’arrêté du 12 janvier 2018 ».
Ce faisant, le Conseil d’Etat s’inscrit dans la droite ligne de sa politique jurisprudentielle consistant à encadrer de plus en plus strictement les exceptions d’illégalité, au nom du principe de sécurité juridique (v. not. CE. Section du contentieux, 30 déc. 2013, n°367615 ; CE. Ass. 18 mai 2018, n°411583, Fédération des finances et des affaires économiques de la CFDT).
L’objectif de la haute juridiction est clair : éviter que les illégalités entachant certains actes administratifs règlementaires ne puissent être indéfiniment invoquées par voie d’exception et ne viennent, par effet de domino, remettre en cause d’autres actes administratifs édictés subséquemment, qu’ils soient réglementaires ou individuels.
La décision du Conseil d’Etat procède d’une certaine logique du point de vue de la nécessaire sécurisation juridique d’actes aussi structurant que les schémas régionaux de santé, mais elle apparait toutefois discutable juridiquement. Certes, le schéma régional de santé n’est pas stricto sensu établi sur le fondement de l’arrêté de zonage, pas plus qu’il n’est établi en application de ce même arrêté. Mais il n’en demeure pas moins que le zonage fait partie intégrante du SRS [cf. article L 1434-3 du CSP] et il n’est excessif de dire qu’il en est un élément clé. Les zones de répartition constituent en effet la matrice territoriale de définition des objectifs (quantitatifs et qualitatifs) de l’offre de soins. Aussi, on ne voit pas comment l’illégalité entachant la définition de ces zones ne pourrait pas affecter la légalité du schéma, à tout le moins certaines de ses composantes.
A la veille de la publication des schémas régionaux de santé de troisième génération, le Conseil d’Etat envoie un message somme toute rassurant aux ARS. La relative complexité du processus de planification sanitaire ne doit pas être le terreau d’une multiplication des causes d’annulation pour des motifs de forme ou de procédure. La bonne administration et l’efficacité de l’action publique imposent au juge de rechercher en permanence le juste équilibre entre le respect de la légalité et l’impératif de sécurité juridique. Une conjugaison souvent délicate, où l’imparfait est de rigueur.
LES FICHES HOUDART
Contentieux des marchés publics
Le contentieux des marchés publics s’est considérablement développé depuis plusieurs années. Il est trop souvent source d’incompréhension et d’insécurité juridique, en particulier pour les établissements publics. Le constat alarme.
Autre constat, tout aussi alarmant, la période post-covid a été marquée par une montée en flèche des recours contestant la passation des marchés publics. La procédure devient une arme commerciale à part entière.
Pour donner suite à la demande de certains de nos clients, nous avons souhaité apporter sous une forme nécessairement didactique, proche de fiches pratiques, les explications qui doivent permettre de mieux décrypter les arcanes d’un contentieux méconnu et ainsi mieux anticiper, comprendre, maîtriser et donc de limiter le risque contentieux.
Chapitre 1 : Le référé précontractuel
Le contentieux de la passation des marchés publics, côté tiers, comprend trois recours principaux : le référé précontractuel, le référé contractuel, et le recours en contestation de validité du contrat.
Il n’est plus utile de le préciser, ces contentieux, nés à l’occasion de la passation de marchés publics, contrats administratifs par détermination de la loi, relèvent par principe de la compétence du juge administratif.
Le présent article revient, de manière synthétique et pragmatique, sur les contours du référé précontractuel (envisagé aux articles L551-1 à L551-12 du code de justice administrative).
Rappel du cadre légal
L’article L551-1 du code de justice administrative consacre le référé précontractuel comme suit :
« Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. (…) Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ».
Il s’agit donc d’une procédure d’urgence, permettant de contester avant toute signature la passation des contrats de la commande publique.
Le ton est donné, les conditions fixées ; reprenons-les :
Les conditions
Quatre conditions principales doivent être relevées.
- Le moment de la saisine
La première condition, et sans doute la plus incontournable (car elle attrait à la recevabilité directe de la requête), concerne le moment de la saisine : le référé précontractuel doit être exercé avant la signature du contrat.
Ce point est confirmé de jurisprudence constante.
En ce sens :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’acte d’engagement relatif au contrat de concepteur liant le groupement d’architectes dirigé par M. X…, retenu comme lauréat à l’issue du concours contesté, à la Chambre de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées a été signé par le président de cette compagnie consulaire le 17 janvier 1994 ; qu’à dater de l’accomplissement, conforme à l’article 44 du code des marchés publics qui lui est applicable, de cette formalité, qui a constitué la “conclusion du contrat” au sens de l’article L. 22 précité, la procédure instituée par cet article ne pouvait plus être mise en jeu ; que, par suite, la demande introduite le 18 février 1994 devant le président du tribunal administratif de Pau, en vertu de l’article L. 22, par M. Y…, candidat non retenu au concours, tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du contrat correspondant, était irrecevable » (Conseil d’Etat 3 novembre 1995, 157304).
Et ce même si l’acheteur a :
- Méconnu les délais légaux imposés entre la notification et la signature ;
Il s’agit plus précisément du délai standstill, imposé à l’article R2182-1 du code de la commande publique (« pour les marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal de onze jours est respecté entre la date d’envoi de la notification prévue aux articles R. 2181-1 et R. 2181-3 et la date de signature du marché par l’acheteur »).
- Signé le contrat après la saisine juridictionnelle, ce qui est fortement déconseillé, et méconnait l’article L551-9 du code de justice administrative (« le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification à l’entité adjudicatrice de la décision juridictionnelle»).
Le Conseil d’Etat confirmait à ce titre, et alors même que la régularité de la signature était contestée du fait du non-respect du délai standstill, l’irrecevabilité d’une requête en référé précontractuel intentée postérieurement à la signature (Conseil d’Etat, 7ème et 2ème sous-sections réunies, du 7 mars 2005, 270778, publié au recueil Lebon) :
« Qu’il n’appartient pas au juge des référés, saisi en application des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de contrôler la validité d’une telle signature ; que, si la société requérante soutient que celle-ci est intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article 76 du code des marchés publics en vertu desquelles un délai d’au moins dix jours doit être respecté entre la date à laquelle la décision de rejet de leur offre est notifiée aux candidats dont l’offre n’a pas été retenue et la date de signature du marché, cette circonstance, si elle est de nature à entacher d’illégalité la décision de signer le marché litigieux, ne suffit pas à faire regarder la signature de ce dernier comme inexistante ; qu’il en va de même de la circonstance, à la supposer établie, que, eu égard aux conditions dans lesquelles elle est intervenue, la décision de signer le marché aurait eu pour seul but de faire obstacle à la saisine, par les candidats évincés, du juge des référés précontractuels et serait ainsi entachée de détournement de pouvoir ; que, dès lors, la SOCIETE GRANDJOUAN-SACO, à qui il appartient seulement, si elle s’y croit fondée, de saisir la Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire d’une demande d’indemnisation du préjudice que lui auraient causé les illégalités qu’elle invoque, n’est pas fondée à soutenir que le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit en estimant que sa demande était sans objet et, par suite, irrecevable ».
En substance, à compter de la signature, et quelles qu’en soit les modalités, le référé précontractuel n’est en principe plus ouvert ; le requérant doit alors se diriger vers le référé contractuel, ou le recours en contestation de validité du contrat pour contester la passation.
- L’intérêt pour agir
Les personnes habilitées à agir, outre le représentant de l’Etat, sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué. Il ne s’agit donc pas nécessairement d’un concurrent évincé, mêmes s’ils en sont les plus friands. Ainsi, un tiers n’ayant pas participé à la procédure de passation pourrait quand même être considéré comme ayant intérêt à conclure le contrat si sa spécialité ou son domaine d’activité le justifie.
S’agissant de la lésion, la jurisprudence est constante. Nous citerons l’arrêt fondateur :
« Que, par suite, en annulant la procédure de passation litigieuse au motif que le syndicat aurait indiqué à tort dans les avis d’appel public à la concurrence que le marché était couvert par l’Accord sur les marchés publics, sans rechercher si cette irrégularité, à la supposer établie, était susceptible d’avoir lésé ou risquait de léser la société Passenaud Recyclage, le juge des référés a commis une erreur de droit et a ainsi méconnu son office » (Conseil d’État, Section du Contentieux, 03/10/2008, 305420, Publié au recueil Lebon).
Plus récemment, et tout aussi explicitement :
« Il appartient au juge des référés, saisi en vertu des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de manière indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (Conseil d’Etat, 4 mars 2021, Edenred France n°438859, mentionné aux Tables).
Cette condition d’un intérêt susceptible d’être lésé constitue, selon les requérants concernés, un formidable axe de défense.
Par exemple, interprétée largement, la condition d’un intérêt lésé permet de contester la requête d’un soumissionnaire arrivé très loin dans le classement des offres :
Un soumissionnaire arrivé en 9ème position sur 10 peut-il réellement s’estimer lésé par la passation et l’absence d’attribution qui en a résulté ?
La réponse doit à notre sens être négative.
Un tel soumissionnaire peut à juste titre être considéré comme dépourvu de toute chance sérieuse de conclure le marché, et donc comme ne répondant pas à la condition de lésion exigée par les textes et la jurisprudence. A contrario, l’intérêt lésé est plus difficile à contester lorsque le requérant est arrivé « sur le podium ».
- Les moyens
Les moyens invoqués à l’appui de la requête sont limités et encadrés.
En effet, s’agissant d’apprécier la régularité de la période précontractuelle, le périmètre des moyens est nécessairement restreint aux manquements les plus manifestes.
Tout d’abord, les manquement doivent porter sur des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Ils doivent en outre, et surtout, être suffisamment significatifs, l’acheteur conservant une certaine marge de manœuvre. Par exemple, s’agissant de l’appréciation portée aux offres :
« 6. Considérant que le juge du référé précontractuel ne peut censurer l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, en application de cet article, sur les garanties et capacités techniques que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d’une erreur manifeste » (Conseil d’Etat, Sous-sections 7 et 2 réunies, 17 Septembre 2014 – n° 378722)
Ils doivent enfin, et pour rappel, être susceptibles d’avoir lésés le requérant.
Sont par exemple et à titre anecdotique considérés comme des manquements susceptibles de léser les requérants (pour n’en citer que quelques-uns) :
- L’absence d’allotissement (en ce sens, voir Conseil d’Etat, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 03/12/2012, 360333, Inédit au recueil Lebon : « Que si le SYBERT soutient également que l’allotissement du marché aurait rendu son exécution financièrement coûteuse, il n’apporte aucune justification à l’appui de ses allégations ; que, par suite, le SYBERT doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations d’allotissement résultant de l’article 10 du code des marchés publics ; que ce manquement aux règles de mise en concurrence a été de nature à léser le groupement requérant, dont l’une des sociétés est spécialiste des travaux de génie civil ; qu’il y a dès lors lieu d’annuler la procédure de passation dans son intégralité »).
- – Le recours irrégulier à la procédure négociée (en ce sens, voir Tribunal administratif de Lyon, 10/04/2020, n° 2001965 : « La société est dès lors susceptible d’avoir été lésée par le recours irrégulier à une procédure négociée »).
- Un délai de publicité trop restreint (en ce sens, Conseil d’État, 7ème sous-section jugeant seule, 05/08/2009, 307117, Inédit au recueil Lebon: « Considérant que, pour juger que le délai ouvert entre la date de publication de l’avis d’appel public à concurrence et la date limite de remise de l’offre était insuffisant pour assurer une publicité suffisante auprès des candidats ayant vocation à y répondre, le juge des référés a pu, sans faire reposer son raisonnement sur une dénaturation des pièces du dossier, retenir que le délai ouvert entre la date de publication de l’avis d’appel public à concurrence et la date limite de remise des offres était insuffisant compte tenu du montant du marché, de 160 000 euros, quand bien même il a retenu un montant hors taxes au lieu de retenir un montant toutes taxes comprises »).
– L’imprécision des documents de la consultation (en ce sens, Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 15/12/2008, 310380, Inédit au recueil Lebon : « Que faute d’avoir précisément défini le type des prestations complémentaires envisagées, lesquelles doivent nécessairement être en rapport direct avec l’objet du marché, la COMMUNAUTE URBAINE DE DUNKERQUE et la VILLE DE DUNKERQUE n’ont pas, eu égard à l’insuffisante définition de la nature et de l’étendue de leurs besoins, et à la marge de choix discrétionnaire qu’elles s’étaient ainsi réservée, prévu des modalités d’examen des offres garantissant l’égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure ; qu’ainsi, et alors même que le sous-critère « services annexes » n’occupait pas une place prépondérante, dans le jugement des offres, compte tenu du coefficient de pondération qui lui était affecté, la COMMUNAUTE URBAINE DE DUNKERQUE et la VILLE DE DUNKERQUE ont manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui leur incombaient ; qu’un tel manquement, qui est de nature à léser la société Decaux au stade de l’examen des offres, justifie l’annulation de la procédure de passation du marché »)
- Les pouvoirs du juge
Dans le cadre du référé précontractuel, le juge n’a, certes, pas « plein pouvoir ».
Il peut toutefois :
- Ordonner à l’acheteur de se conformer à ses obligations ;
- Suspendre l’exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché ;
- Annuler les décisions se rapportant à la passation du marché ;
- Adapter les clauses du marché.
Sa palette de pouvoirs est donc dès ce stade du référé précontractuel étendue, et susceptible de remettre en question l’attribution décidée.
L’impact d’un tel référé sur la procédure de passation n’est pas donc à négliger.
Cela posé, pour décider de telles mesures, le juge prend en compte l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment l’intérêt public.
Ainsi, il procède à un bilan avantages / coûts de la mesure envisagée, et si les conséquences négatives des mesures l’emportent sur les avantages, l’adapte.
C’est le fameux « bilan coûts / avantages ». Il peut s’avérer salvateur.
Par exemple, saisi de la passation d’un marché ayant pour objet le remplacement urgent d’équipements nécessaires à la continuité du service public, ou à la protection des agents ou usagers, le juge peut estimer que l’intérêt général fait obstacle à l’annulation de l’ensemble de la procédure de passation, pour des motifs de délais, et favoriser de simples mesures de régularisation, à un stade avancé de la procédure.
Cela posé, le bilan coûts / avantages est plus difficile à soutenir en cas de manquements graves, manifestes et avérés. Prudence donc.
Les conseils pratiques
En prenant l’hypothèse, plus fréquente, d’un acheteur en défense, agissant donc dans le cadre d’une requête en référé précontractuel déposée par un concurrent évincé, nous identifions 4 conseils.
Conseil n°1 : vérifier si les documents de la consultation du marché prévoient des modalités de résolution amiable du litige. Si tel est le cas l’irrecevabilité d’office n’en sera que plus facilement soutenable auprès de la juridiction, et l’audience pourrait même être évitée.
Conseil n°2 : vérifier que le marché litigieux n’a pas été signé.
Ici aussi, la signature préalable à la requête introductive d’instance doit inviter l’acheteur à soulever in limine litis l’irrecevabilité de la requête.
Conseil n°3 : procéder à une étude préalable du bien-fondé de la requête.
En effet, si le manquement invoqué est établi et manifeste et que les chances de succès du référé précontractuel sont conséquentes, une régularisation spontanée et sans attendre l’ordonnance du juge du référé précontractuel peut être envisagée, et bienvenue.
Conseil n°4 : à défaut, sans procédure de résolution amiable particulière et sans irrecevabilité évidente tirée de la signature préalable du marché, le pouvoir adjudicateur doit, sans tarder, préparer une défense adaptée au fond.
Lorsque les enjeux et/ou les montants le justifient, nous préconisons le recours à un conseil spécialisé. Le propos peut naturellement être nuancé s’agissant de « très petits marchés » à très faibles enjeux matériels, organisationnels, et financiers.
ARCHIVES : RETROUVEZ NOS PRÉCÉDENTES LETTRES
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.
Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.
Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :
- contrats d’exercice, de recherche,
- tarification à l’activité,
- recouvrement de créances,
- restructuration de la dette, financements désintermédiés,
- emprunts toxiques
Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.
Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).
Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.
Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.
Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.
Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.
Jessica Phillips est avocate collaboratrice au sein du cabinet depuis 2019, et intervient principalement sur les dossiers de conseils et de contentieux en droit public et droit de la commande publique.
Elle réalise des audit Marchés publics pour les acheteurs.
Elle assure également des formations en droit de la commande publique au profit des agents en charge de la passation et l’exécution des marchés publics.
Jessica Phillips possède une Spécialisation droit public - Qualification spécifique droit de la commande publique.