PHARMACIES D’OFFICINE ET PUI QUELLES COOPÉRATIONS ?
Article rédigé le 14 Décembre 2020 par Me Nicolas Porte
Lorsque le recours à une pharmacie à usage intérieur n’est pas possible ou non pertinent, les pharmacies d’officine ont pleinement un rôle à jouer dans l’approvisionnement et la dispensation des médicaments en établissements. Que prévoient les textes à ce sujet ? Les officines ne pourraient-elles pas intégrer des groupements de coopération sanitaires ou médico-sociaux pour mutualiser leurs moyens et leurs compétences ?
Nous poursuivons notre série sur les pharmacies à usage intérieur (PUI) en abordant dans le présent volet le thème des coopérations entre établissements (avec ou sans PUI) et pharmacies d’officine.
Comme on l’a vu dans un précédent article (cf. l’article de L. Jeune « PUI et GHT : quelles structurations juridiques »), l’organisation territoriale de l’activité de pharmacie à usage intérieur dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire trouve sa limite dans le fait que la réponse aux besoins pharmaceutiques n’est possible qu’entre établissements parties à un même GHT ou avec des établissements extérieurs au groupement, mais à la condition que ceux-ci soient eux-mêmes dotés d’une pharmacie à usage intérieur (article L 5126-2 I 1° du code de la santé publique).
Les pharmacies d’officines : le complément nécessaire aux GHT et aux GCS PUI
La limite est la même avec les groupements de coopération sanitaire autorisés à disposer d’une PUI : ces GCS ne peuvent répondre qu’aux besoins pharmaceutiques de leurs membres et établir des coopérations avec des établissements ou organismes non-membres du groupement, si ces derniers sont dotés d’une PUI (cf. article L 5126-2 II du CSP).
Néanmoins, le recours au GHT ou au GCS PUI n’est pas toujours possible, aussi bien pour des raisons juridiques ( c’est le cas des établissements sanitaires ou médico-sociaux qui ne sont ni parties à un GHT ou à un GCS PUI, ni dotés d’une PUI ) que pratiques. Le recours à la PUI peut, par exemple, ne pas s’avérer pertinent du fait de son éloignement géographique avec l’établissement ou les patients pris en charge à domicile. En pareille hypothèse, les pharmacies d’officines ont pleinement leur rôle à jouer d’une part, parce que la densité du maillage officinal ( selon un rapport de l’IGAS-IGF de 2016, 97% de la population de France métropolitaine vit à moins de 10 minutes en voiture d’une officine d’une officine ) leur assure une plus grande proximité avec la population que les établissements et d’autre part, parce que dans un contexte de surdensité officinale, nombre de pharmacies libérales, si elles veulent survivre doivent aujourd’hui être capables d’assurer d’autres missions que la traditionnelle activité de « comptoir ». L’approvisionnement et la dispensation de médicaments pour le compte d’établissements de santé et/ou médico-sociaux peut constituer un axe de développement important pour ces officines.
L’ordonnance n°2016—1729 du 15 décembre 2016 relatives aux pharmacies à usage intérieur prévoit d’ores-et-déjà des dispositifs de coopération conventionnelle qui pourraient, dans certains cas, être complétés par des coopérations plus intégrées.
Les dispositifs de coopération existants
Avec les établissements de santé dotés d’une PUI délivrant des soins à domicile
Le premier dispositif de coopération concerne l’approvisionnement et la dispensation de médicaments pour le compte d’établissements d’hospitalisation à domicile dotés d’une PUI.
L’article L 5126-5 3° du code de la santé publique dispose :
« Les établissements de santé délivrant des soins à domicile qui disposent d’une pharmacie à usage intérieur peuvent confier à des pharmacies d’officine, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat, la gestion, l’approvisionnement, le contrôle, la détention et la dispensation de certains produits de santé mentionnés au I de l’article L. 5126-1 et relatifs à ces soins ».
L’article R 5126-26 du CSP prévoit que le pharmacien chargé de la gérance de la pharmacie à usage intérieur est destinataire de l’ensemble des prescriptions établies dans le cadre des soins à domicile dispensés au patient par l’établissement. Il organise pour chaque patient, après avis du médecin coordonnateur, le circuit des médicaments et peut avoir recours à une pharmacie d’officine. Une convention conclue entre l’établissement d’HAD et le pharmacien titulaire de l’officine précise les obligations incombant à ce dernier en vue de garantir la qualité et la sécurité de la dispensation pharmaceutique.
Sous l’empire de l’ancienne réglementation [Cf. Article R 5126-44-1 du CSP ], le ministère de la santé avait élaboré en 2011 un modèle-type de convention aux termes de laquelle le pharmacien gérant de la PUI, après avis du médecin coordonnateur de l’HAD, s’engage à retenir la pharmacie d’officine dont le nom lui aura été proposé par le patient concerné par la convention (une convention étant signée pour chaque patient), le pharmacien titulaire de l’officine étant chargé de l’acte de dispensation. Cette convention, type, qui n’a pas de valeur impérative, n’a semble-t-il pas été actualisée pour tenir compte de la réforme des PUI issue de l’ordonnance n°2016-1729 du 15 décembre 2016 et du décret n° 2019-489 du 21 mai 2019.
Il est à noter qu’une convention-type – beaucoup plus récente – a également été élaborée conjointement par la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD) et par deux fédérations de syndicats de pharmaciens (la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine) .
Les établissements, services et organismes dont les besoins pharmaceutiques ne justifient pas l’existence d’une PUI (article L 5126-10 I du CSP)
Aux termes de l’article L 5126-10 I du code de la santé publique :
« Lorsque les besoins pharmaceutiques d’un établissement, service ou organisme relevant du III de l’article L. 5126-1 [7] qui n’est pas partie à un groupement hospitalier de territoire ou qui n’est pas membre d’un groupement de coopération sanitaire (…) ne justifient pas l’existence d’une pharmacie à usage intérieur, les médicaments, produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 et les dispositifs médicaux stériles peuvent (…) être détenus et dispensés sous la responsabilité d’un pharmacien ayant passé convention avec l’établissement » , l’article R 5126-106 prévoyant que ce pharmacien peut être un pharmacien titulaire d’officine.
La convention conclue entre l’établissement et le pharmacien d’officine fixe notamment les modalités d’approvisionnement, de dispensation et de détention des médicaments, produits et dispositifs médicaux stériles concernés. Elle est transmise pour information au directeur général de l’ARS dont relève l’établissement, le service ou l’organisme (cf. article R 5126-107 du CSP).
Possibilité de dispensation à domicile dans certains établissements et services médico-sociaux non dotés d’une PUI.
L’article R 5126-112 du code de la santé publique dispose que :
« Les pharmaciens (…) peuvent dispenser au sein des établissements mentionnés au 3° de l’article R. 5126-1 les médicaments, produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 et les dispositifs médicaux stériles dans les conditions prévues aux articles R. 5125-50 à R. 5125-52 [i.e la dispensation à domicile ; ndlr] sous réserve, pour les médicaments qu’ils aient fait l’objet d’une prescription médicale ou d’une prescription ou d’un renouvellement de prescription par un infirmier exerçant en pratique avancée [ pour les médicaments soumis à prescription] (…) ».
Concrètement, les établissements et services médico-sociaux concernés sont les suivants :
- Les établissements assurant l’hébergement de personnes âgées ;
- Les établissements assurant l’hébergement des personnes handicapées mineures ou adultes ;
- Les structures dénommées « lits haltes soins santé » et « lits d’accueil médicalisés ».
Les établissements pour personnes âgées non dotés d’une PUI (article L 5126-10 II du CSP)
Les établissement et services prenant en charge des personnes âgées (EHPAD, logements-foyers, …) ne disposant pas de PUI et qui ne sont pas membres d’un GCS gérant une PUI doivent conclure avec ou un plusieurs pharmaciens titulaires d’officine une ou des conventions relatives à la fourniture de produits de santé aux personnes âgées résidentes.
La convention précise les conditions destinées à garantir la qualité et la sécurité de la dispensation ainsi que le bon usage des médicaments en lien avec le médecin coordonnateur de l’établissement.
Elles désignent un pharmacien référent pour l’établissement qui concourt à la bonne gestion et au bon usage des médicaments destinés aux résidents et collabore, avec les médecins traitants, à l’élaboration, par le médecin coordonnateur de la liste des médicaments à utiliser préférentiellement dans chaque classe pharmaco-thérapeutique.
Bien que le dernier alinéa de L 5126-10 II du code de santé publique prévoie que les conventions conclues entre les EHPAD et les pharmacies d’officine doivent être conformes à une convention type définie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, cette convention type n’a finalement jamais été arrêtée officiellement par le gouvernement .
La seule convention type officiellement diffusée par les pouvoirs publics est celle figurant en annexe de la circulaire DGAS/2C/DSS/1C/CNASA/CNAMTS n°2009-340 du 10 novembre 2009 relative à l’application de l’article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale : expérimentation de la réintégration des médicaments dans les dotations soins des établissements mentionnés au 6° du I de l’article L. 312-1 du code l’action sociale et des familles ne disposant pas de pharmacie à usage intérieur.
Certaines ARS, en collaboration avec les OMEDIT ( Observatoires des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique ), les Conseils Régionaux de l’Ordre des pharmaciens et les Unions Régionales des Professions de Santé ont élaboré des guides pratiques ( voir notamment ce différents liens : Guide PDA et EHPAD, Guide pour la préparation des doses à administrer en EHPAD, Guide des bones pratiques) de mise en place de partenariats entre EHPAD et pharmacies d’officine pour la préparation des doses à administrer dont certains contiennent des propositions d’éléments pour une convention.
Comme on peut le constater, les coopérations prévues par le code de la santé publique entre établissements et pharmacies d’officine sont nature conventionnelle et le plus souvent bilatérales. Elles s’apparentent plus à de la sous-traitance ou de la prestation de services qu’à de la coopération à proprement parler.
Mais ces coopérations ne pourraient -elles pas être approfondies pour permettre, par exemple, à plusieurs officines de mutualiser des moyens matériels et humains et de structurer leurs relations avec plusieurs établissements ?
Des coopérations plus intégrées sont-elles possibles ?
Aujourd’hui, le principal levier dont dispose une officine pour développer son offre pharmaceutique consiste à s’implanter dans de nouveaux locaux, soit seule, soit avec un confère dans le cadre d’un regroupement, ce type d’opération n’étant sans risques du fait des recours contentieux dont elles font très fréquemment l’objet.
Les officines ont également la possibilité d’établir entre-elles des coopérations sous la forme de groupements (par exemple dans le cadre de GIE) qui leur permettent le plus souvent de bénéficier de services et de savoirs faire (achats groupés, animation et optimisation du point de vente, formation à la gestion, démarche qualité…). Ces groupements pharmaceutiques sont du reste largement répandus mais sont, à notre connaissance, essentiellement tournés vers l’activité traditionnelle de dispensation au comptoir et dans une moindre mesure, vers celle du maintien à domicile) – pour un état des lieux cf. la Thèse de A. Le Carpentier « Les groupements de pharmacies d’officine des années 60 à aujourd’hui : évolution, état des lieux et enjeux », Université Rennes 1, 2016.
Un autre levier envisageable pour conforter le réseau officinal tout en le restructurant pourrait consister à permettre aux officines de développer avec des établissements sanitaires ou médico-sociaux des coopérations plus structurées et pérennes (de type GCS ou GCSMS) permettant la mutualisation d’investissements coûteux (automates de PDA…), l’accès à des aides financières publiques et donnant aux officines la visibilité économique de moyen/long terme qui peut parfois leur faire défaut.
Mais force est de reconnaître que le cadre juridique existant laisse aujourd’hui les pharmacies d’officine à l’écart des groupements de coopération.
Les officines ne figurent pas dans la liste des structures énumérées par l’article L 6133-2 du code de la santé publique pouvant être membres d’un GCS (Cf. Article L 6133-2 du CSP) seules les personnes physiques ou morales exerçant une profession médicale (les pharmaciens ne faisant pas partie de cette catégorie) y étant autorisées.
L’intégration d’un pharmacien d’officine ou de la structure d’exercice dont il est membre dans un GCS est toutefois possible sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L 6133-2 qui dispose :
« Des personnes physiques ou morales exerçant une profession libérale de santé autre que médicale et d’autres organismes concourant à l’activité du groupement peuvent être membres de ce groupement sur autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé ».
Il reste que cette intégration dans un GCS n’est pas de droit et demeure conditionnée à l’accord de de l’autorité sanitaire.
S’agissant des groupements de coopération sociale et médico-sociale, les textes ne permettent pas que des officines pharmaceutiques ou leurs titulaires personnes physiques puissent être membres de tels groupements.
Les articles L 312-7 et R 312-194-1 du code de l’action sociale et des familles réservent en effet la qualité de membres d’un GCSMS aux établissements et services sociaux et médico-sociaux dotés de la personnalité morale, aux personnes physiques ou morales gestionnaires de ces structures, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales concourant à la réalisation de leurs missions.
Le 3° de l’article L 312-7 précise que des professionnels médicaux et paramédicaux du secteur libéral ou du secteur public n’exerçant pas dans les établissements et services des membres adhérents peuvent être associés au groupement par convention, ce qui exclut qu’un professionnel libéral puisse avoir la qualité de membre à part entière d’un GCSMS.
Conclusion
Avec la loi « HPST » du 21 juillet 2009, le législateur avait ouvert de nouvelles perspectives à la profession de pharmacien d’officine en lui confiant de nouvelles missions dans le champ des soins de premier recours et de la santé publique (cf. article L 5125-1-1 A du CSP). Le champ de la dispensation des médicaments en établissements et à domicile pourrait probablement être mieux investi par les officinaux pour peu qu’ils puissent coopérer de façon plus intégrée avec les établissements et services de leur territoire.
S’agissant plus particulièrement des EHPAD, le rapport « Libault » préconise au contraire de généraliser les PUI, dans une optique de réduction des coûts ( Cf. Rapport “Grand âge et autonomie” ; D. Libault, mars 2019, page 81). Cependant, l’on peut raisonnablement penser que des coopérations entre officines et établissements judicieusement structurées et dimensionnées généreraient des gains d’efficience qui permettraient de combler l’écart – somme toute modeste (D’après le rapport Libault, citant les résultats d’une enquête de coûts de l’ATIH, l’écart entre la dépense en médicaments des EHPAD qui ont une PUI et ceux qui n’en ont pas est de l’ordre de 150 € par an et par place) – entre la dépense en médicaments des EHPAD avec PUI et celle des EHPAD qui en sont dépourvus ; sans compter les effets bénéfiques sur l’offre de soins de premier recours procurés par un réseau officinal conforté.
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.