soins touchant à l’intimité : les dernières recommandations du ccne
Article rédigé par Alice Agard
Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu son avis n°142, « Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité ». Celui-ci a été adopté le 16 février 2023, à l’unanimité des membres présents.
Dans le prolongement de l’avis 136 de juillet 2021 sur « L’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin », le CCNE a été saisi le 4 juillet 2022 par la Première ministre afin de « conduire une réflexion approfondie sur la notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques et plus largement tous les examens qui touchent à l’intimité ».
Cet avis apparait bienvenu au regard du contexte sensible et des plaintes déposées depuis plusieurs années par certain(e)s patient(e)s en matière de soins intimes. Plusieurs tentatives de réponses ont d’ores et déjà pu être proposées, à commencer par la rédaction de chartes et de recommandations de bonnes pratiques[1], ou encore des actions de sensibilisation aux enjeux relatifs au consentement dans la sphère de l’intime.
Il s’adresse aux professionnels de santé relevant de multiples spécialités (gynécologie, obstétrique, urologie, proctologie et gastro-entérologie, médicine générale, professionnels de la maïeutique, masseurs kinésithérapeutes et ostéopathes, infirmier(e)s…), qu’ils exercent en cabinet libéral, à l’hôpital public ou privé ou en établissement social ou médico-social.
Il faut toutefois relever que l’avis « n’inclut pas l’étude des gestes médicaux en situation d’urgences obstétricales au cours desquelles le risque fonctionnel ou vital de la mère ou de l’enfant à naître modifie substantiellement l’appréhension des problématiques éthiques liées au consentement des personnes ».
Spécificité des examens touchant à l’intimité
L’avis dresse en premier lieu une présentation des spécificités et de la complexité de la relation de soin s’agissant de la réalisation d’examens intimes.
Si tout examen ou acte médical est par nature susceptible de porter atteinte à l’intimité, à la pudeur ou à l’intégrité des patients, les soins touchant à l’intimité y sont encore davantage exposés.
L’avis rappelle d’abord qu’en vertu du principe de l’inviolabilité du corps humain, les atteintes à l’intimité et/ou à l’intégrité liés aux examens ou actes médicaux ne sont autorisées par la loi qu’à titre d’exception, sous réserve du recueil du consentement, d’une justification thérapeutique et d’être nécessaires et proportionnés.
Atteintes illégitimes et disproportionnées
Il propose ensuite une « typologie des atteintes illégitimes et disproportionnées » devant être évités dans l’ensemble des disciplines médicales impliquant des interventions dans des sphères intimes.
– Les actes ou attitudes portant atteinte à l’intimité comprennent notamment : la non prise en compte de la gêne et de la pudeur des patients, l’expression de remarques désobligeantes ou de propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, la volonté ou d’avoir des enfants, les injures sexistes.
– Parmi les atteintes à l’intégrité physique et psychique : les violences sexuelles, la réalisation d’examens sans recueil du consentement ou sans respect du choix ou de la parole des patient(e)s, la réalisation d’examens qui ne seraient pas justifiés médicalement ou non conformes aux données de la science et aux règles d’usage.
Le CCNE souligne les difficultés majeures expliquant la complexité liée aux examens intimes (notamment, la difficulté à subir des examens en présence d’étudiants, les difficultés particulières pour les femmes victimes de violences sexuelles ou encore les contraintes pratiques en particulier liées au manque de temps lors de la consultation).
Or, l’altération de la confiance entre patient(e)s et soignant(e)s est susceptible d’entrainer plusieurs risques, dont le renoncement des patient(e)s aux consultations résultant en une perte de chance significative.
Alors que l’immense majorité des praticien(ne)s respecte les droits des patient(e)s et met tout en œuvre pour une prise en charge bienveillante et professionnelle, nombreux craignent de voir l’ensemble de la profession affectée par les accusations portées contre certains professionnel(le)s.
C’est pourquoi il apparait crucial d’établir une « relation de confiance réciproque », fondée sur un dialogue entre patient(e)s et soignant(e)s, permettant une « décision médicale co-construite et partagée ». Une telle relation garantirait la dignité des patient(e)s et leur droit à prendre part aux décisions qui les concernent, tout en protégeant les professionnels d’éventuelles accusations abusives ou infondées.
Repères éthiques préconisés par le CCNE
Dans cette perspective, le CCNE préconise plusieurs « repères éthiques pour la préservation d’un cadre respectueux et sécurisant pour les patient(e)s et les soignant(e)s », pouvant servir de guide aux professionnels. L’on en proposera ici une synthèse.
- Une attention particulière doit être portée à la qualité de la relation de soin, afin d’instaurer une relation de confiance réciproque
Il apparait ainsi essentiel de proposer un « schéma ou un rythme de consultation respectueux du temps nécessaire aux patient(e)s pour accepter de se dévoiler ».
Pour tenir compte de leur pudeur et de leur besoin d’intimité, la possibilité doit leur être offerte de se dévêtir et de se rhabiller hors du regard des praticien(ne)s, et de façon progressive en fonction des parties du corps qui sont examinées. Les praticien(ne)s doivent être attentif(ve)s aux expressions de douleur ou d’inconfort pendant la réalisation des examens, que celles-ci soient verbales ou non verbales.
- Au moment de la consultation ou de l’examen, il est nécessaire de mettre en place un dialogue, afin de permettre aux patient(e)s d’exprimer leurs attentes et leurs ressentis
-Un dialogue en amont de la réalisation des examens permet de comprendre l’étendue des connaissances dont les patient(e)s disposent quant à leurs corps et quant aux examens envisagés, de déceler s’ils ou elles ont été victimes de violences, quelles qu’elles soient, par le passé.
– Un « moment de debriefing » en aval de l’examen, peut permettre aux patient(e)s d’exprimer comment l’examen a été vécu et aux soignant(e)s de réexpliquer pourquoi il était utile de le réaliser.
- Après une consultation ou un examen mal vécu, une bonne communication est indispensable
-Si un examen intime a été mal vécu, les patient(e)s doivent pouvoir en parler avec les soignant(e)s concerné(e)s, « soit juste après l’examen, soit à distance de la consultation, si besoin avec le soutien d’une médiation ».
– Si les patient(e)s ne souhaitent pas échanger directement avec le professionnel concerné, la possibilité doit alors leur être offerte de « s’adresser de manière confidentielle à des tiers de confiance et qu’elles puissent faire remonter les situations préoccupantes par ce biais ». L’avis préconise à cette fin le renforcement des dispositifs existants.
- Les précautions lors du recueil du consentement doivent être renforcées
Le consentement étant un « processus dynamique, évolutif, rétractable à tout moment », le CCNE considère que la signature d’un formulaire ne permettrait pas de protéger le consentement des patient(e)s. Il recommande ainsi un recueil oral du consentement accompagné « d’une traçabilité précise dans le dossier du patient ».
-Pour être donné valablement et librement, le consentement doit être précédé d’une information précise, loyale et adaptée.
Cette information doit porter sur les objectifs poursuivis par l’examen, les modalités concrètes de sa réalisation et les risques éventuels associés. Certains examens étant invasifs et inconfortables, il est indispensable pour le professionnel d’expliquer pourquoi ils apparaissent nécessaires pour la prévention, le diagnostic ou la prise en charge, et de prévenir les patient(e)s en amont du risque d’inconfort ou de douleur. Une bonne information permet ainsi aux patient(e)s de se déterminer en connaissance de cause (compréhension de la nécessité de l’examen, existence de risques de gêne ou de douleur, existence éventuelle d’autres examens moins invasifs).
-Le consentement par le patient(e) à l’examen doit être explicite et différencié, c’est-à-dire, recueilli pour chacun des actes réalisés.
-Le non-respect de l’exigence du consentement doit être sanctionné. Le CCNE propose l’introduction dans le Code de la santé publique (CSP) d’un renvoi à l’article L 119-1 du Code de l’action sociale et des familles définissant la maltraitance.
La recherche de ce consentement, qui doit devenir un réflexe pour les soignant(e)s, leur serait également bénéfique puisque « lorsque le patient se sent partie prenante de la décision médicale, il adhère plus volontiers à la stratégie de soin (…) »[2].
- Les refus et les réticences des patient(e)s vis-à-vis d’un examen doivent être pris en considération
Si l’article L. 1111-4 du CSP permet notamment de refuser un traitement, le CCNE préconise d’y ajouter explicitement le refus pouvant être opposés aux examens, en tant qu’actes médicaux spécifiques. Le refus d’examen « ne devrait jamais entrainer une rupture brutale de la consultation ou de la relation de soin » et devrait conduire le professionnel à tenter d’en comprendre les raisons.
- La présence des étudiants lors de consultations ou d’examens doit être strictement encadrée et respectueuse des patient(e)s
Si la participation des étudiants aux consultations est indispensable à la bonne formation des praticiens, le « consentement préalable des patient(e)s à la présence d’étudiant(e)s, ou à la réalisation d’examens par des étudiant(e)s, doit être recherché après la délivrance d’une information adaptée ». Ce consentement doit ainsi être explicite et ne peut être présumé du seul fait que l’on se situe dans un centre hospitalo-universitaire. L’éventuel refus des patient(e)s doit être respecté.
- Une attention particulière est requise vis-à-vis des personnes dont les facultés de discernement sont amoindries
En cas d’impossibilité d’obtenir un consentement authentique, il convient de rechercher un assentiment (« un accord fondé sur une compréhension partielle de la situation et des options ») et « la présence d’un tiers, représentant légal, ou d’une personne de confiance (article L.1111-6 du CSP), peut également aider la personne à faire connaître sa volonté. ».
- Une vigilance particulière s’impose quant au cadre matériel, temporel et organisationnel des examens
L’environnement physique doit être pris en compte, dès lors qu’il peut avoir un impact sur la « confidentialité des échanges, le respect de l’intimité et le sentiment de sécurité » des patient(e)s. A cet égard, il convient d’éviter, par exemple, la réalisation d’examens dans des box de consultation en parallèle.
Il apparaît en outre fondamental de respecter le temps nécessaire à chaque patient pour recueillir un consentement véritablement libre et éclairé, exigence actuellement mise en péril par les conditions dans lesquelles les professionnel(le)s de santé sont contraints de travailler.
- Il convient de maintenir la possibilité de la présence d’un tiers, sans la rendre obligatoire
Sur ce point, deux pratiques sont observées en France :
– les soignant(e)s demandent parfois à un tiers (par exemple une aide-soignante ou une infirmière), d’être présent à l’examen
– les patient(e)s qui le demandent, en particulier les mineur(e)s peuvent être accompagnés par le tiers de confiance (familial ou non) qu’ils ou elles ont choisi
Si cette présence peut rassurer les patients, elle est parfois susceptible d’être source de tensions. Le CCNE préconise ainsi le maintien de ces pratiques, sans en faire une obligation comme c’est le cas dans certains pays.
Il importe de rappeler par ailleurs que les soignant(e)s ont le droit et même le devoir de refuser des examens qui seraient contradictoires avec les données acquises de la science, ou dont le rapport coût/bénéfice serait clairement défavorable pour le ou la patient(e).
En outre, bien que les examens touchant à l’intime soient essentiels pour déceler des maladies, confirmer ou exclure un diagnostic, le CCNE encourage les professionnels à systématiquement réinterroger la pertinence de les réaliser. Il leur faut ainsi mobiliser le principe de subsidiarité (existence d’un examen moins invasif ou moins douloureux qui permettrait d’obtenir les mêmes informations, à un coût identique pour la société) et le principe de proportionnalité (« les informations recherchées justifient elles de réaliser un examen touchant à l’intimité et à l’intégrité ? »). A l’inverse, il est tout aussi essentiel de pratiquer des examens lorsqu’ils sont indiqués et justifiés.
Les recommandations spécifiques à l’égard des autorités :
Conscient de la crise rencontrée par l’hôpital public, du manque de personnel et de moyens, et du rythme des consultations, le CCNE recommande au Ministère de la Santé de « particulièrement veiller à ce que les conditions organisationnelles du soin permettent d’optimiser la mise en place d’un consentement revisité et adapté ».
Il incombe au Ministère de l’Enseignement supérieur et à la Conférence des doyens de médecine de « davantage tenir compte des enjeux de formation aux humanités et à l’éthique du soin dans la constitution des programmes d’enseignement ». A cette fin, le CCNE préconise un renforcement de la formation des soignants, notamment des compétences éthiques et relationnelles, au regard de l’importance de la communication et de l’empathie. Il propose également un renforcement de la démocratie participative en santé, à travers l’intervention de patient(e)s dans la formation des professionnels de santé, et la co-construction des chartes et recommandations de bonnes pratiques par les organisations professionnelles et les associations de patient(e)s.
Par ces recommandations sur la question particulièrement complexe des soins intimes, le CCNE espère favoriser une « alliance profonde, et une considération mutuelle, permettant de renouer la pratique soignante à un art qu’elle ne devrait jamais cesser d’être ».
[1] A titre d’illustration, voir la Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique, de 2021 : http://www.cngof.fr/actualites/758-chartre-examen-gynecologie
[2] Pierre Le Coz, « Ethique : pourquoi respecter l’autonomie du patient ? », Cancer(s) et psy(s), 2020/1 (n°5), p. 147-158.